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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/476

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l’enfant paraîtra encore plus utile, si l’on songe aux difficultés de la discipline. Comment acquérir l’empire nécessaire sur un être aussi capricieux ou aussi mobile que l’enfant, si l’on ne sait pas à quels principes d’action il obéit spontanément ? Comment manier, sans la froisser, sans la briser, cette délicate petite machine, si l’on n’en a pas d’avance analysé les ressorts ?

D’ailleurs ce n’est pas la pédagogie seule dans ses applications pratiques, c’est la psychologie générale qui attend beaucoup de l’étude des enfants. Combien de vains systèmes philosophiques n’auraient pas eu la peine de naître, si leurs auteurs avaient été plus attentifs à ce qui se passe dans les premiers mois de la vie ? Pour toutes ces perpétuelles discussions sur l’origine des idées, sur la distinction de l’âme et du corps, sur l’opposition de la raison et de l’expérience, sur la part de l’hérédité et des acquisitions personnelles, la psychologie infantile apporte, sinon une solution décisive, tout au moins des éclaircissements précieux. L’homme en tout cas ne se connaît véritablement que si, remontant à l’origine de son existence, il y apprend par quels tâtonnements, par quelle progression lente, ses facultés ont dû passer pour prendre possession d’elles-mêmes.

Pour ces raisons diverses, il faut se réjouir des efforts tentés dans le domaine encore trop inexploré des facultés de l’enfance, surtout quand ces efforts aboutissent à une œuvre remarquable, telle que l’essai récemment publié par M. Bernard Pérez sous ce titre : Les trois premières années de l’enfant. Le sujet y est embrassé dans toute sa complexité. L’auteur a profité des esquisses de M. Taine et de M. Darwin[1], mais il ajoute à leurs recherches un riche fonds de réflexions propres, et la part des expériences personnelles est considérable dans son travail. La méthode en est excellente : le livre, on le sent à chaque page, a été écrit, comme doit l’être tout livre de ce genre, à côté d’un berceau ou pour mieux dire de plusieurs berceaux. En outre, ce n’est pas exclusivement chez les enfants que l’auteur a cherché la matière de ses observations. En un pareil sujet, quand il s’agit de l’enfant, de cet homme commençant qui par tant de côtés ressemble à l’animal développé, il est impossible de ne pas emprunter au monde des bêtes des analogies et des comparaisons. M. Pérez n’y a pas manqué, et il y a toute une famille de chats, très-chers et très-familiers à l’auteur, qui réapparaît sans cesse dans le livre et qui, sans qu’oïl s’en

  1. Voyez dans la Revue philosophique (1re année, n° I), l’article de M. Taine sur l’Acquisition du langage, et, dans le Mind (juillet 1877), l’étude de M. Darwin : Esquisse biographique d’un petit enfant.