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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/486

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former les premiers concrets. » Il est très-vrai de dire que la notion concrète d’un individu est une synthèse qui se fait peu à peu par l’association « de parcelles lumineuses et colorées », avec des morceaux de forme et de couleur : mais ce n’est pas une raison pour employer improprement le mot d’abstraction à propos de représentations sensibles, qui ne sont partielles et morcelées qu’à raison de l’impuissance des sens à saisir tout de suite la totalité de l’objet concret.

Il est vrai que M. Pérez n’accorde l’abstraction relative à l’enfant que pour refuser à l’homme fait l’abstraction absolue. Nous sommes incapables, d’après lui, de concevoir l’idée pure, indépendamment de toute image sensible. Cette affirmation étonnerait moins, si l’auteur ne prétendait pas établir, en contradiction avec M. Taine et M. Max Müller, que le langage n’est pas nécessaire pour la formation des idées abstraites et générales[1]. Questions délicates et subtiles, qui montrent mieux qu’aucune autre combien la psychologie générale a besoin de remonter aux sources, par l’observation attentive de l’enfant et des débuts de l’intelligence. Sans entrer dans le fond de la discussion, nous ferons observer à M. Pérez qu’il est dans l’erreur quand il dit : « Il est depuis longtemps admis que le langage est un instrument nécessaire et pour la fixation et pour la génération elle-même des idées générales. » En combattant cette opinion, qu’il considère à tort comme universellement accréditée, M. Pérez est d’accord, sans le savoir, avec un grand nombre de philosophes et notamment avec Hamilton. Mais surtout nous ferons observer qu’il y a de grands inconvénients à confondre la tendance à généraliser qui se manifeste chez l’enfant à l’occasion des noms qu’il entend prononcer (que cette tendance ait ou non besoin du mot pour se réaliser, qu’elle précède ou qu’elle suive l’acquisition du langage), et la puissance réfléchie de manier des abstractions, telle qu’on la voit se déployer chez le savant rompu aux exercices de l’esprit. Sans doute nous accordons qu’il n’y a pas en général de distinction réelle absolue entre les facultés psychologiques que le langage sépare. Les mots expriment souvent de fines nuances plutôt que des différences tranchées. C’est ainsi qu’il n’y a pas, si l’on veut, de séparation radicale à établir entre la pensée concrète et la pensée abstraite : en ce sens que même la perception d’un objet

  1. Remarquons à ce propos que, de toutes les parties du livre de M. Pérez, la moins forte, celle où il est le moins original et où il se contente le plus de reprendre des observations antérieures, particulièrement celles de M. Taine, c’est précisément la partie la plus vieille du sujet, l’acquisition du langage par l’enfant.