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compayré. — psychologie de l'enfant

individuel suppose un certain nombre d’abstractions antérieures, et que d’autre part à l’abstraction la plus haute se mêlent quelques représentations sensibles, ne fût-ce que celle du mot qui l’exprime. Mais les mots sont exacts cependant, en ce qu’ils expriment sinon des catégories tout à fait distinctes, au moins des états différents de l’âme. Ainsi, quoique la pensée soit toujours plus ou moins mélangée de perceptions sensibles et de conceptions abstraites, si nous nous représentons son développement suivant une ligne droite, il y a une extrémité où le concret est à son maximum, l’abstrait à son minimum, et vice versa. Ce serait une erreur psychologique grave par conséquent de confondre ces deux termes extrêmes d’une même évolution. Or, l’auteur des Trois premières années de l’enfant n’échappe pas toujours à cette confusion regrettable.

Ce qu’il faut au contraire louer à peu près sans réserve, ce sont les chapitres relatifs à la mémoire, à l’association des idées, à l’imagination. C’est qu’ici l’auteur explore le domaine incontesté des facultés puériles, de celles où d’emblée l’enfant s’égale presque à l’homme et où il est permis de lui accorder beaucoup sans faire tort à la vérité. « La mémoire est une faculté prompte, énergique et tenace, au début même de la vie. » — « On retrouve dans les jeunes enfants les mêmes espèces d’associations que dans l’adulte. » — « L’imagination représentative s’exerce dès les premiers temps de la vie : il en est de même de l’imagination créatrice, sous forme de manie destructive et constructive. » Ce sont là des vérités hors de doute, à l’appui desquelles l’auteur a rassemblé un riche répertoire de faits bien observés et délicatement décrits. Nous lui reprocherons seulement de ne pas marquer suffisamment ce qu’offrent de caractéristique, quand elles se développent chez l’enfant, ces facultés communes à tous les âges. Ainsi, ce qui nous a surtout frappé chez les babys qu’il nous a été donné d’observer, c’est avec leur aptitude remarquable à se rappeler ce qu’ils ont vu, ce qu’ils ont entendu, leur impuissance à localiser exactement dans le temps et dans l’espace les souvenirs qui leur sont restés. Le tableau s’est gravé dans leur esprit, mais le cadre s’est effacé : ce qui tendrait à prouver que l’enfant a plus d’imagination, de puissance représentative que de mémoire proprement dite. La mémoire suppose en effet une appréciation exacte de la durée, dont l’enfant est incapable, parce que cette appréciation exige une coordination de souvenirs. Qui n’a entendu des enfants de deux ou trois ans raconter comme un événement d’hier un fait dont ils ont été les témoins plusieurs mois auparavant ? Le baby qui a déjeuné il y a quelques heures à peine demande déjà à dîner, non pas qu’il ait faim, mais parce qu’il n’a aucune notion précise du