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Cela dit, il ne nous en coûte pas d’avouer que sur beaucoup de points les conclusions de M. Pérez sont les nôtres. Rien de plus vrai que l’idée qui domine son livre, à savoir que les actes moraux, quels qu’ils soient, avant d’acquérir leur forme définitive, ont été depuis longtemps essayés, ébauchés dans la vie antérieure de l’individu ; que chez l’enfant comme chez l’homme, rien ne se fait tout d’un coup par je ne sais quel miracle de la nature. De même, rien de plus juste que les théories de l’auteur sur la part qu’il convient de faire, dans le développement des facultés de l’enfant, à l’hérédité, ou, ce qui revient au même en un sens, à l’innéité. C’est un problème délicat que celui qui consiste à distinguer chez l’enfant les transmissions héréditaires et les acquisitions personnelles. « Je me suis souvent posé, non sans anxiété, cette interrogation à moi-même, lorsque je me trouvais en face d’un petit enfant, sphinx mystérieux qui me regardait inconsciemment l’observer, et dont les grands yeux calmes et ébahis déconcertaient mes laborieuses inductions. Je me rappelais que telle action, longtemps enfouie dans le réservoir des facultés virtuelles, jaillissait tout à coup à la lumière, éveillée par la présentation fortuite de certaines circonstances favorables, et je me demandais s’il ne fallait pas restituer à l’instinct et à l’hérédité ce que mes observations me donnaient le droit de leur enlever pour le donner à la conscience et à l’expérience individuelle… » Bien que l’auteur ait posé le problème avec finesse dans la page qu’on vient de lire, il nous semble qu’il le résout un peu trop lui-même dans le sens de la doctrine de l’évolution ; il considère trop souvent comme des résultats immédiats et héréditaires de la vie spécifique de l’humanité des actes qui sont plutôt le produit lentement atteint des énergies et des efforts de l’individu.

Ce n’est pas une des moindres curiosités de l’hypothèse transformiste, que les partisans de l’ancienne philosophie soient obligés de plaider contre elle les droits de l’expérience, de l’expérience personnelle trop sacrifiée par les darwinistes à l’expérience des générations antérieures. Pour les disciples absolus du darwinisme, tout dans la nature humaine n’est que réminiscence. Pour eux, l’enfant n’a rien à découvrir, rien à inventer : il n’a qu’à se rappeler. Il est dès le premier jour tout ce que l’ont fait le travail et l’évolution des siècles. Il n’a pas plus de peine à devenir un homme, à mettre en jeu des facultés qui ne sont que les puissances endormies d’actes déjà réalisés par une série de générations, que n’en trouve un bavard à répéter machinalement une histoire qu’il a contée mille fois. En résumé, les darwinistes oublient trop que, malgré la transmission héréditaire des instincts, tout est perpétuellement à refaire,