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compayré. — psychologie de l'enfant

à recommencer, pour chaque individu nouveau, et que la vie se compose non d’une série de réminiscences faciles, mais d’une suite d’acquisitions laborieuses et de conquêtes personnelles. L’hérédité nous transmet non pas une âme toute faite, mais seulement des germes qui ne se développeront qu’avec le concours du temps, du travail et de la réflexion. Il ne faut pas, en un mot, que l’évolution de l’espèce nous cache et nous dérobe l’évolution individuelle.

C’est peut-être pour n’avoir pas tenu compte suffisamment de cette évolution de l’individu que M. Pérez se laisse entraîner parfois à exagérer la portée intellectuelle de l’enfant, comme si le long travail de l’expérience personnelle pendant l’enfance et la jeunesse devait être inutile et non avenu. Ne nous laissons pas aller à croire que du premier coup l’esprit, gardant inconsciemment le souvenir des vies antérieures, est déjà tout ce qu’il peut et doit être. Mais, d’autre part, n’hésitons pas à reconnaître que les facultés de l’enfant ressemblent plus qu’on ne le croit généralement aux facultés de l’homme. Avec moins de fermeté et de sûreté, elles ont parfois les allures qu’elles garderont toute la vie. Ainsi l’enfant raisonne, mais il raisonne à sa manière. De même que tous les aliments ne vont pas à l’estomac du nouveau-né, qui ne digère encore que le lait, de même toutes les raisons ne sont pas propres à l’intelligence de l’enfant de trois ans. Il sent déjà le besoin de s’expliquer les choses, d’en chercher la cause et la fin, mais pour ces explications il se contente des premiers souvenirs que lui présente son imagination.

Quoi qu’il en soit, sur bien des points, les enfants sont plus près de nous que nous ne le croyons. Toutes les fois qu’on y regardera de près, comme aussi toutes les fois qu’on examinera avec minutie les actions des animaux, on sera plus disposé à abaisser qu’à relever les barrières : on reconnaîtra que les enfants pensent plus qu’ils ne peuvent le dire, l’expression leur faisant encore défaut, et que, entre leur intelligence et celle des hommes faits, il n’y a souvent pour tout intervalle qu’ « une mince cloison ».

G. Compayré.