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âmes. Et là où l’individu paraît s’oublier lui-même, c’est pour songer davantage à l’avenir de la société. En un mot, le problème social, le problème religieux passionnent, tantôt se heurtant, tantôt se conciliant, la majorité des esprits sérieux et sincères.

À ce triple besoin, scientifique, religieux et politique, de l’âme contemporaine, Hartmann, Dühring et Lange ont, plus que tous les autres, entrepris de donner satisfaction. Là est la raison dominante de leur rapide succès. Le grand ouvrage de Hartmann, la Philosophie de l’Inconscient, atteignait en moins de dix années sa huitième édition, puisque la première édition est de 1869, et qu’au moment même où nous écrivons se publie la huitième ; en même temps, des traductions le faisaient connaître en Russie, en Suède et en France. L’Histoire du matérialisme de Lange compte déjà trois éditions et vient de paraître en français et en anglais. Enfin une nouvelle édition est annoncée du Cursus der Philosophie de Dühring, et de son Histoire critique de la philosophie, qui en avait eu deux précédemment, en 1871 et en 1874.

Autour de ces trois philosophes, des écoles se sont formées qui se recommandent déjà, bien qu’inégalement, par le nombre, l’ardeur et le talent des disciples. Lange n’est plus là pour défendre sa doctrine, mais Cohen et Vaihinger se font les interprètes sympathiques ou convaincus de sa pensée. Aux côtés de Hartmann combattent des hommes tels que Carl du Prel et Moritz Venetianer, au nom desquels il convient de rattacher celui du regrettable Taubert. Si nous ne pouvons signaler encore parmi les adhérents de Dühring, que le nom de F. Wollny, nous savons qu’à Berlin l'action de l’auteur du Cursus va tous les jours grandissant.

Outre que les philosophies dont nous parlons ont paru et se sont développées dans la même période de temps, elles offrent à celui qui les veut étudier l’avantage de répondre aux trois directions essentielles de la philosophie moderne. Les tendances des esprits contemporains, en effet, se partagent à peu près également entre l’idéalisme, le matérialisme et le criticisme : entre la doctrine qui réduit tout à l’esprit, celle qui ramène tout à la matière, et celle enfin qui fait profession d’ignorer l’essence des choses.

C’est une bonne fortune pour le public qu’un écrivain comme Vaihinger, connu déjà par d’intéressantes notices, lues à l’Association philosophique de Leipzig (par exemple, sur le naturalisme de Czolbe), ou publiées par la Revue d’Avenarius, ait réuni dans une étude comparée les trois doctrines de Hartmann, Dühring et Lange[1].

  1. Hartmann, Dühring und Lange, ein Kritischer Essay von Hans Vaihinger. Iserlohn, chez Baedeker.