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joly. — la jeunesse de leibniz

sion[1]. Je ne crois pas me tromper en disant qu’il devait craindre de se montrer en cette matière un peu plus libéral que les autres professeurs luthériens. Déjà sans doute Mélanchthon s’était relâché de la rigueur des principes ; mais on sait que les docteurs de Wittemberg le poursuivirent des plus véhémentes invectives, en lui disant que la liberté d’examen et la croyance au libre arbitre étaient « un outrage à la mémoire de Luther ». Question de génie mise à part, Thomasius paraît tenir en ces questions une position intermédiaire — les intervalles étant bien étroits — entre Mélanchthon et Leibniz. Celui-ci, dans la préface de sa Théodicée, nous dit que, tout jeune encore, il avait lu avec plaisir le traité de Luther De servo arbitrio, tout en voyant que plusieurs des propositions de cet ouvrage avaient besoin d’être adoucies. Or, à l’âge où il se livrait pour la première fois à cette lecture et où il s’abandonnait à cette impression, il était le disciple docile et respectueux de Thomasius, et il devait se trouver d’accord avec lui.

Cet adoucissement de la théorie fataliste, nous le trouvons d’ailleurs plus marqué dans plusieurs ébauches d’une théorie du droit naturel qu’à plusieurs reprises Thomasius essaye devant ses jeunes auditeurs. Bien que ce soit toujours indirectement, par voie de digression historique, qu’il aborde ces questions, ces esquisses n’en sont pas moins intéressantes. Il y est ramené de temps à autre par deux noms qu’il abomine entre tous, mais qui ne contribuent pas pour peu de chose à fixer notre attention, Hobbes et Machiavel. Un candidat doit soutenir contre Machiavel que le christianisme n’affaiblit pas le courage militaire. Voici comment le professeur débute dans son introduction : « Contra diaboli satellitem certaturi in aciem progredimur… » Pour lui, Machiavel est avant tout un maître d’athéisme, car son mépris de la nature humaine et de la justice lui semble devoir conduire tout droit à la négation de la Providence et même de l’existence de Dieu. C’est qu’aux yeux du maître de Leibniz, la nature humaine ne paraît pas tellement déchue que Dieu ne lui ait laissé les moyens de faire quelque bien, soit par les lumières naturelles et les principes du sens commun, soit par l’aide du médiateur. En un mot, il se montre plus optimiste de beaucoup en matière de philosophie sociale et de droit de la nature et des gens qu’en philosophie

  1. Je n’ai relevé qu’un court passage où il condamne comme conduisant à l’athéisme la croyance à ce qu’il appelle le fatum stoïcum : il caractérise cette croyance par le désir de pénétrer dans les futurs contingents au moyen de pratiques superstitieuses. (De causis atheismi, præfatio disputationi habitæ de idea boni perfectique politici, 1668.) On ne peut s’empêcher, en lisant ces lignes, de penser aux raisonnements célèbres de Leibniz sur le fatum mahometanum et les autres espèces de fatum.