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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/503

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joly. — la jeunesse de leibniz

est plus impudent qu’Epicure. D’après ce dernier, les premiers hommes ont dû être en guerre les uns avec les autres ; mais, en disant qu’alors il n’y avait pas de droit du tout, il n’a pas eu, semble-t-il, l’audace de proclamer un prétendu droit de posséder et de jouir même par la guerre. Or ce dernier principe est précisément celui de Hobbes[1].

Les jurisconsultes romains, qui, comme Ulpien, avaient emprunté aux philosophies platonicienne et assyrienne plus qu’à celle d’Épicure, ont bien parlé eux aussi d’un état primitif où il n’y avait ni gouvernements ni États, mais où les hommes, supérieurs aux animaux par la raison et la religion, n’étaient pas ennemis les uns des autres. Il est aisé de voir la différence : la nouvelle doctrine est une erreur qui dépasse en monstruosité toutes les précédentes.

On arguë, dit ailleurs Thomasius, du péché originel ? Ah ! sans doute, après notre désobéissance à Dieu, il nous a été plus difficile de nous entendre entre nous. Nous étions déchus, et le démon nous tourmentait. « Mais enfin. Dieu nous ayant laissé quelque raison et nous ayant envoyé son Rédempteur, je m’étonne qu’au lieu de déclarer la guerre indigne de nous, un chrétien, je dirai même un homme, proclame comme notre état naturel la guerre de tous contre tous. Et cette guerre, qu’il dit être juste, quelle est-elle ? C’est la guerre de chacun pour son propre plaisir ![2] »

Thomasius ne se borne pas à ces généreuses protestations. Il n’accepte pas du tout que le gouvernement n’ait d’autre origine que la nécessité de sortir de l’état de guerre et d’en empêcher le retour par la compression du despotisme. Il tient à un gouvernement modéré, doux, équitable, paternel. Et il voit parfaitement que, pour avoir le droit de recommander cette pratique de la monarchie ou du gouvernement, quel qu’il soit, il importe de réhabiliter les origines du pouvoir en les montrant sous leur vrai jour. Un de ses élèves devant soutenir une thèse de subditis, il saisit cette occasion pour traiter en peu de mots la question suivante : Étions-nous destinés dans l’état d’innocence à vivre sous des gouvernements ? An in statu integritatis futuræ fuissent respublicœ ? En d’autres termes, la division des hommes en États soumis à des lois et à des autorités chargées de faire respecter ces lois est-elle une punition du péché ? Est-elle un châtiment ? Est-elle une mesure de rigueur frappant des coupables et devant les traiter comme tels ? À ces questions, le maître répond négativement. Nul doute, il le proclame une fois de

  1. De jure bestiali Hobbesii, déjà cité.
  2. De Hobbesii primo principio philosophiæ practicæ præmissa disputationi habitæ de jure belli majestatico (1666).