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plus, que le péché d’Adam ne soit l’origine de tous nos maux. Mais si nous étions, restés dans l’état d’intégrité ou d’innocence, nous n’en aurions pas moins eu entre nous des distinctions d’âges, de sexes… Il y aurait toujours eu des pères et des fils. Il eût toujours fallu un gouvernement, ne fût-ce que celui de Dieu, comme les Juifs l’ont eu pendant si longtemps, ne fût-ce que celui de la famille… Et d’ailleurs, est-il nécessaire, pour établir la nécessité et la légitimité d’un gouvernement, de creuser un abîme entre gouvernants et gouvernés ? Point du tout ! Car alors il faudrait supprimer l’autorité, même dans la société humaine actuelle et dans le monde où nous vivons, puisque la nature nous a faits tous égaux, « ubi ut homines æque sumus omnes, ut æquali naturæ lege et suscepti et parentibus et nudi in hunc mundum projecti, ita neminem alteri obedire juxta illorum philosophiam consequatur. » La nécessité d’un gouvernement n’a donc pas été établie par Dieu comme un châtiment, en vertu d’une sorte de malédiction méritée par le péché, mais comme un bienfait, en vue de l’ordre le plus auguste, « in sanctissimum ordinem ».

Les vues que nous venons d’analyser et que Thomasius n’a malheureusement fait que jeter en passant dans des dissertations très-courtes, forment, à nos yeux, la meilleure partie de son enseignement dogmatique. Dans les autres branches de la philosophie et plus encore dans les. sciences, il avoue lui-même sa faiblesse. Bien que dans une de ses præfationes il cite, en l’approuvant, cette opinion de Paracelse, que a toute putréfaction est le principe d’une génération quelconque » (phrase dont le futur défenseur de la loi de continuité et de l’enveloppement des germes dut conserver le souvenir), Thomasius confesse à Leibniz, dans une lettre de 1670, qu’il ignore les sciences de la nature. À peu près à la même époque, en réponse à de longues lettres où il était question de concilier Aristote et particulièrement quelques-unes de ses définitions mathématiques avec les principes de la philosophie nouvelle, il reconnaît d’abord qu’il est moins familiarisé que son élève avec Descartes et les cartésiens, puis qu’il ne connaît pas assez les mathématiques pour pousser plus avant la discussion. Il se dérobe sans fierté, alléguant qu’il n’a pas le temps, qu’il est ébranlé sans être convaincu, qu’il lui faudrait examiner davantage et qu’il ne sait pas s’il le peut faire avec fruit : « Bien que tu ne m’aies pas fait renoncer complètement à mon ancienne opinion, tu m’as cependant ébranlé, et il me semble que je suis prêt, non à la rejeter, mais à vouloir la concilier avec la tienne. Mais je ne sais si je dois essayer de me rencontrer avec toi sur ce terrain, je ne le connais pas assez, et il faudrait y apporter