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joly. — la jeunesse de leibniz

faites à la longue épître de son élève. Thomasius se dit même embarrassé de choisir entre l’hæccéité de Scot et « l’entité » des nominalistes. Pour ce qui est des formes substantielles, il les défend mollement : il veut au moins que son disciple ne se laisse pas entraîner jusqu’à nier la forme substantielle dans l’homme, c’est-à-dire jusqu’à nier que l’âme humaine soit la forme informante du corps. Quant au reste, il est seulement en peine de savoir ou de comprendre ce que la philosophie nouvelle met à la place. Mais il est prêt à en faire bon marché, sachant qu’en possession des vérités du christianisme, il a pris la meilleure part, et que nul ne peut la lui ravir. En un mot, son Histoire delà philosophie est surtout analytique et critique ; mais elle est consciencieuse, étendue, pleine de finesse et d’une aussi grande exactitude que possible pour l’époque.

Tel fut le premier maître de Leibniz.

Ce que Leibniz a su trouver et inventer par lui-même dépasse dans de telles proportions ce qu’il peut devoir à Thomasius, que chercher la part de ce dernier dans le développement des doctrines de son élève paraît au premier abord une tâche un peu futile. Mais plus un fleuve est puissant, plus la science de nos jours aime à en retrouver les moindres sources… Je suis convaincu qu’un homme de génie se forme surtout avec ses supérieurs et ses égaux, et je confesse ouvertement que Leibniz dut beaucoup plus à Platon, à Aristote, à St Thomas et à Descartes qu’à Jacques Thomasius. Mais enfin, comme nous l’avons rappelé déjà, Leibniz sut ne rien dédaigner ; et l’enseignement philosophique de l’Université de Leipsick n’eût-il fait que lui fournir des occasions d’études ou lui indiquer des aliments que son organisation puissante sut transformer en sa propre substance par un travail tout personnel, il mériterait de ne pas être oublié.

Comment, par quelles voies, par quelles issues Leibniz commença-t-il par s’élever et à planer si fort au-dessus de ces premières leçons, qui ne le sait ? Plus hardi que son maître, il s’appliquait, sur les bancs mêmes de l’école, à connaître la philosophie nouvelle, et, pendant plus de dix ans. Descartes occupa dans son esprit la première place. En même temps, la lecture de tous les moindres travaux publiés en Angleterre, en France, en Italie, lui faisait amasser des matériaux dont la lente élaboration devait lui procurer les moyens de dépasser Descartes lui-même : il assistait à la naissance, aux premiers développements des théories les plus différentes en physique, en chimie, en histoire naturelle, en anatomie, en médecine-, attentif aux découvertes et aux idées les plus disparates des Gilbert, des Robert Boy le, des Glisson, des Wallis et