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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/533

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analyses. — bougot. Essai sur la Critique d’art.

récit des tâtonnements de la critique d’art en France depuis son origine, et des progrès qu’elle a réalisés jusqu’à nos jours. La conclusion finale est que, pour bien juger d’une œuvre d’art, il faut la considérer tour à tour avec les yeux d’un philosophe, d’un artiste, d’un poëte et d’un historien.

Telle est l’économie générale du livre de M. Bougot. Mais toutes les questions dont il traite ne sont pas également neuves, et, à ce titre, toutes n’ont pas pour nous la même importance. Les rapports de la critique d’art avec la technique et l’histoire de l’art, par exemple, sont l’objet d’études précises, entreprises depuis longtemps, lesquelles exigent des faits, des documents, des données scientifiques, et laissent par conséquent peu de prise aux divergences et aux controverses sérieuses. L’histoire de l’art dépend, comme l’histoire générale, des recherches positives de la critique historique ; quant à la technique, elle résulte en grande partie de connaissances mathématiques, physiques, chimiques, anatomiques, sur la valeur et le rôle desquelles il serait puéril de soulever une discussion. Toutefois, ni la technique, ni l’histoire, n’ont le droit de se substituer entièrement à la critique ; cette dernière conserve, en regard d’elles, et tout en s’éclairant sans cesse de leurs lumières, une indépendance qui lui est propre, et que M. Bougot a pleinement raison de revendiquer. Le dernier mot n’est pas dit, en effet, sur une œuvre d’art, quand on lui a reconnu une forme plus ou moins parfaite en soi au point de vue de la technique, abstraction faite des rapports de cette forme avec l’idée ou le sentiment qu’elle a la prétention d’exprimer. D’autre part, le critique ne saurait se borner, comme le recommande M. Taine, à constater et à expliquer ; il doit encore classer, il doit surtout juger.

Cette seconde partie de sa tâche est, sans contredit, la plus délicate. Il ne suffit plus, pour la bien remplir, d’être un savant et un historien ; il faut que l’historien soit complété par le philosophe, que le savant soit doublé de l’artiste.

Ici se pose la grosse question qui domine la critique d’art, comme elle domine l’esthétique tout entière : qu’est-ce que le beau ? — Et c’est à cette grosse question que nous cherchons vainement une réponse satisfaisante et définitive.

M. Bougot semble admettre, à la suite de Victor Cousin et de Jouffroy, un type parfait du beau, invariable dans son essence, et inséparable de ces autres perfections qu’on appelle le vrai et le bien. Si le principe de l’art commence par s’envoler dans un pareil absolu, il est à craindre qu’on ne puisse pas aisément le faire descendre ensuite des hauteurs métaphysiques où il plane, pour le mettre à la portée des humbles créations humaines qui s’efforcent de l’interpréter.

Quand je dis que le vrai réside dans la conformité de l’idée à la réalité, que le bien réside dans la conformité de l’acte à la loi, je mesure mon acte et mon idée à un mètre essentiellement distinct de moi-même, — à une réalité indépendante de mon intelligence, et dont toutes