Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/54

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
44
revue philosophique

l’esprit, comme dit Kant dans sa Méthodologie, ont droit d’intervenir dans l’explication de la réalité. Mais, d’après Dühring, « la fonction synthétique de l’imagination » répond « à une fantaisie objective de la nature ». Chez Hartmann, la logique de l’idée gouverne à la fois la nature et l’esprit, et les mêmes inspirations de l’Inconscient sont au fond des créations du génie scientifique et des créations de la nature. Toutefois l’imagination de l’homme a besoin du contrôle incessant de l’expérience. Hartmann n’est pas moins affirmatif sur ce point que Dühring, bien que la pratique chez lui démente souvent la théorie. Lange non plus n’interdit pas au savant l’usage de l’imagination. Nul n’a témoigné un sentiment plus vif du rôle de l’élément formel, de l’activité synthétique, de l’inspiration créatrice dans la pensée humaine. Pourtant il n’accorde aux constructions qu’enfante l’imagination qu’une signification et une portée poétiques. Le domaine de la science est rigoureusement délimité pour lui par l’application du mécanisme expérimental : là est la région de la certitude théorique, c’est-à-dire au fond uniquement des probabilités vérifiables pour tous : en dehors s’étend le monde infini des hypothèses, des opinions et des préférences individuelles.

La téléologie reste pour Lange un principe purement régulatif, tandis que Dühring et Hartmann en font un principe constitutif de la connaissance. Parmi les éléments constants (Beharrungselement) de la réalité, à côté des atomes et des lois de leurs changements mécaniques, Dühring fait figurer les types spécifiques. On ne peut supprimer le concept de fin, sans faire violence à f entendement : mais la finalité dans la nature n’est nullement attachée à la conscience. Dühring dit quelque part que la nature tend, par la série de ses transformations, à la production des êtres conscients, comme à sa fin dernière ; et qu’un monde d’où la conscience serait absente serait une œuvre aussi déraisonnable qu’un drame sans spectateurs. À ces principes formels, Dühring ne se met aucunement en peine de rattacher les principes de son mécanisme. Une insurmontable contradiction, un dualisme flagrant compromet, dès le début, l’unité de son système. Chez Hartmann, la téléologie est partout, bien qu’elle essaye, plus ou moins heureusement, de se concilier avec les exigences du déterminisme mécanique. Lange proscrit sévèrement de la science expérimentale toute forme d’explication téléologique[1]. Il ne doute pas que l’avenir ne réussisse à ramener les organismes, comme la matière, aux lois d’une mécanique universelle, analogue à celle que concevait Descartes. Il n’en soutient pas moins que la sensation et la pensée sont absolument réfractaires

  1. Vaihinger, p. 64.