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analyses. — giovanni. Principes de philosophie première.

Une des causes qui ont le plus contribué à rendre durable l’influence de M. Mamiani, c’est qu’il a su être un pur philosophe, tandis que ses rivaux, Rosmini et Gioberti, étaient des théologiens. Plus hardi que Rosmini, moins soucieux d’une stricte orthodoxie, d’humeur plus batailleuse dans l’ordre théologique comme dans l’ordre politique ou philosophique, Gioberti prétend cependant édifier une philosophie, non-seulement chrétienne, mais catholique, s’appuyant tout ensemble sur la raison et sur l’autorité. Ce mélange de métaphysique et de théologie, qui fait aujourd’hui la faiblesse de sa doctrine, en a fait la force lorsqu’elle s’est produite. Dans ce réveil intellectuel de l’Italie, qui a préparé l’émancipation nationale, toutes les traditions, toutes les croyances, toutes les aspirations semblaient se confondre. On était à la fois Guelfe et Gibelin, catholique et libéral, papalin et anti-jésuite. On remontait jusqu’à cette antique sagesse des Italiens, célébrée par Vico ; on prétendait rattacher la nouvelle école italienne à l’école italique du ve siècle avant notre ère. On prétendait en même temps renouveler les grandes luttes théologiques, métaphysiques, politiques des contemporains de Dante. On se rattachait enfin d’une façon plus directe au platonisme de la Renaissance. On ne répudiait que ces temps de décadence du xviie et du xviiie siècles, où l’Italie avait subi le joug intellectuel comme le joug politique de l’étranger. L’Italie se reconnaissait et reprenait possession d’elle-même dans cet idéalisme éloquent et hardi qui lui rendait, en les lui expliquant, toutes ses gloires passées, et qui lui en promettait de nouvelles. Aussi, lorsque vint le moment de l’émancipation nationale, l’Italie poussa ses philosophes aux premiers postes de combat. Mamiani entra dans les conseils du pape libéral ; Gioberti devint premier ministre du roi libérateur et l’un de ses premiers actes fut de confier à Rosmini une grande ambassade. Le désastre de Novare et, plus encore, la réaction romaine après le retour de Gaëte, firent succéder, dans les esprits italiens, la réflexion à l’enthousiasme. On comprit la chimère de l’ltalia fara da se, en philosophie comme en politique. Il ne fallait plus songer, ni dans l’ordre spéculatif ni dans l’ordre pratique, à cette alliance du libéralisme et du catholicisme militant qui avait été le rêve de la génération précédente. La politique nationale devait se réaliser par le roi contre le pape ; la philosophie nationale devait se développer par la pensée pure, en dehors des enseignements de l’Église. Or, en perdant ainsi le point d’appui qu’elles avaient cru trouver au cœur même des traditions nationales, la politique et la philosophie italiennes n’ont pu se soustraire aux influences étrangères. L’unité italienne s’est réalisée avec le concours de la France et de l’Allemagne ; l’Allemagne et la France ont importé dans les chaires italiennes, non-seulement leurs doctrines, mais leurs professeurs. L’ontologisme métaphysique et catholique de Gioberti a perdu dès lors son prestige auprès des libéraux et des novateurs, et ses derniers disciples sont des conservateurs très-orthodoxes, comme M. l’abbé di Giovanni.