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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/548

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ou suspect à l’Église, l’ontologisme est doublement antipathique aux purs philosophes, comme prétendant fonder la science universelle sur un dogme théologique et sur un dogme métaphysique. L’esprit moderne, dans les sciences et dans la philosophie, a toujours tendu à s’affranchir de la théologie ; il tend de plus en plus à s’affranchir de la métaphysique elle-même. S’il n’est pas convaincu que l’expérience soit tout, il veut du moins qu’on ne cherche quelque chose au delà de l’expérience qu’après lui avoir demandé tout ce qu’elle peut donner et à la condition de rester toujours d’accord avec elle.

M. di Giovanni, comme philosophe, comme catholique, comme patriote italien, combat ces tendances laïques et positives de l’esprit moderne. Je crois qu’il a tort à ce triple point de vue. Je ne dirai pas que le patriotisme soit hors de saison en matière philosophique. Chaque nation, dans l’ordre intellectuel comme dans l’ordre politique, peut avoir sa vocation spéciale et se montrer fière de l’accomplir. Toutefois, rien ne serait plus contraire non-seulement au véritable esprit philosophique, mais à un patriotisme bien entendu, que d’envisager cette vocation d’une façon étroite et de l’attacher exclusivement à l’emploi de certaines méthodes et au maintien de certaines doctrines. Que le génie italien soit naturellement idéaliste, je l’admets ; qu’il soit depuis quinze cents ans fortement imprégné de catholicisme, je l’admets encore ; mais qu’il doive, par patriotisme, se refuser à toute doctrine qui ne soit pas strictement idéaliste et strictement catholique, ce serait le condamner à l’immobilité, à l’isolement et à la mort. La seule conciliation possible entre la foi et la science est leur indépendance mutuelle. La foi est impuissante à découvrir aucune vérité scientifique ; elle est incompétente pour juger aucune doctrine scientifique. Ses condamnations sont odieuses quand elles se mettent en travers du libre développement de la science ; elles jettent le discrédit et le ridicule sur l’autorité qui les a prononcées, quand elles sont condamnées à leur tour par l’évidence irrésistible d’une démonstration scientifique. Il faut en dire autant pour la philosophie. Elle ne peut se maintenir à côté des sciences qu’en renonçant à les régenter, et, dans son propre sein, la seule chance qu’elle ait de conserver à la métaphysique une place respectée est de lui demander non le fondement, mais le couronnement de ses théories. Voilà ce qu’il y a de vrai dans les tendances auxquelles obéit, depuis trente ans, la pensée philosophique en Italie, comme en France, en Allemagne et en Angleterre. Elles n’ont pas toutefois tellement cause gagnée qu’il ne soit intéressant de connaître les arguments que leur oppose l’ancienne école, surtout quand ces arguments sont présentés par un penseur consciencieux et sincère, très-versé dans la connaissance de toutes les doctrines contemporaines et se donnant la peine, avant de les combattre, de chercher à les comprendre. Telles sont les qualités que nous avons déjà louées chez M. di Giovanni et qui recommandent ses ouvrages à tous les amis des sérieuses études philosophiques.

Émile Beaussire.