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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/586

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leur aspect le plus abstrait et le plus général. De ces notions, à leur tour, nous nous demanderons ce qu’elles sont, τί ἐστι.

Une réponse à une pareille question est-elle possible, et ce qui est ultime pour la science ne l’est-il pas aussi pour la philosophie ? N’avons-nous pas une prétention excessive, et la philosophie n’est-elle pas condamnée à poursuivre vainement un objet chimérique ou à saisir des entités purement imaginaires ? Il n’y a qu’un moyen de dépasser la science et d’atteindre à une généralisation encore plus haute. Jusqu’à présent, nous avons considéré les objets de notre recherche comme des objets, c’est-à-dire comme doués, d’une manière ou de l’autre, d’une existence indépendante de nous-mêmes, des spectateurs qui les considèrent. Or, ces objets ne sont que des phénomènes relativement à ceux qui les perçoivent, et le moment est venu de mettre à profit cette remarque et de nous demander ce qu’ils sont en tant qu’états de conscience, par opposition à leur caractère d’objets ou de parties d’un monde objectif. De là une nouvelle analyse, subjective cette fois, de notions véritablement irréductibles sous leur aspect objectif, c’est-à-dire telles qu’elles sont étudiées dans les sciences dont elles font la base.

En nous plaçant à ce point de vue, nous découvrons que certains modes de sensation combinés avec l’étendue et la durée sont les éléments constitutifs de toutes ces notions ultimes. La notion de mouvement, par exemple, se réduit non à celle d’un simple changement de sensations, mais à celle du changement de leur position dans l’espace, prenant place dans la succession du temps. La notion de cette chose solide et résistante que nous appelons matière se ramène, d’une manière générale, à celle de certaines sensations de la vue combinées avec d’autres sensations du toucher ou de la tension musculaire.

Au delà de cette analyse subjective, nous ne concevons pas qu’il soit possible d’aboutir à une plus haute abstraction ; elle est aussi le dernier objet de la philosophie, mais cet objet la distingue des sciences, en fait une science à part. Celles-là traitent des choses, de leurs notions objectives ; celle-ci étudie le caractère subjectif de ces notions.

Mais nous n’avons encore parlé que des sciences mathématiques et des sciences physiques. Il est d’autres sciences, le » sciences morales, les sciences logiques. Or les notions ultimes de ces sciences sont, elles aussi, subjectives déjà, et c’est pourquoi, dans les classifications ordinaires, elles font elles-mêmes partie de la philosophie. Cependant les notions qui servent de base à la jurisprudence, à l’esthétique, à la morale proprement dite, celles de justice et d’injustice