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REGNAUD. — ÉTUDES DE PHILOSOPHIE INDIENNE

(le corps) et allant au dehors de ce nid[1], l’immortel, le purusha qui a l’éclat de l’or, le cygne unique, se rend où le porte son désir[2]. »

— 13. « Allant dans le rêve en haut et en bas[3], le dieu évoque des formes diverses[4], soit, en quelque sorte, qu’il joue avec les femmes, qu’il rie ou qu’il ait devant les yeux des spectacles effrayants. »

— 14. « Les objets de son plaisir sont visibles, mais nul ne le voit lui-même[5]. C’est pour cela que les (médecins) disent qu’il ne faut éveiller (personne) brusquement. Difficile à guérir est le corps quand il (le purusha) ne rentre pas par cette (porte des sens dont il s’est servi pour sortir)[6]. Il en est qui disent que cette place du rêve est la même pour le purusha que celle de l’état de veille, parce qu’il voit étant endormi les mêmes choses qu’on voit étant éveillé[7]. (Mais il n’en est pas ainsi, car) ce purusha brille alors (dans le rêve) de son propre éclat. »

Dans une Upanishad plus récente, la Praçna Up., IV, 5, la théorie du sommeil et du rêve se trouve exposée en ces termes :

« Alors (dans le sommeil) le dieu (le manas) perçoit la grandeur[8]. Il revoit tout ce qu’il a vu (dans, l’état de veille) ; il entend tout ce qu’il a entendu ; il perçoit de nouveau tout ce qu’il a perçu dans des

  1. Quoiqu’il soit dans le corps pour voir le rêve, pourtant il a rompu toute relation nécessaire avec son enveloppe matérielle, et vague, en quelque sorte, au-dedans et au-dehors, comme l’éther. (Çank.)
  2. Il parcourt chaque chose qui lui plaît parmi celles qui se manifestent lors de révocation des perceptions acquises. (Çank.)
  3. Passant en rêve des êtres supérieurs, comme les dieux, aux créatures inférieures, comme les animaux. (Çank.)
  4. Les perceptions acquises. (id.)
  5. Puisqu’il les voit dans le rêve, tandis que lui échappe aux sens. (Çank.)
  6. Dans le rêve, l’âme est absente du corps grossier et (c’est pour cela que l’Upanishad vient de dire qu’on ne la voit pas) ; elle a emporté avec elle les énergies propres à chaque sens en prenant pour se retirer les canaux par lesquels elle communique avec leurs sièges réciproques : elle s’est isolée. Or, si on l’éveille brusquement, elle ne retrouve plus bien dans son trouble les issues par lesquelles elle rapporte aux sens leurs facultés mutuelles. De là résultent la cécité, la surdité, le mutisme, etc., infirmités dont la guérison est difficile. (Çank.)

    Il est curieux de retrouver une conception analogue chez les Tagals des Philippines, qui, « pour éviter un malheur, c’est-à-dire pour donner le temps à l’âme de revenir dans le corps, exigent qu’on ne réveille pas les gens en sursaut. » Voy. Girard de Rialle, le Culte fétichique des esprits. (Revue scientifique du 28 juillet 1878.)

  7. C’est une erreur, attendu que, dans l’état de veille, les perceptions viennent des sens, tandis que, dans le sommeil ou le rêve, l’âme éclaire de son propre éclat les perceptions acquises qu’elle évoque et perçoit de nouveau, pour ainsi dire, avec le sens interne, sans le secours des sens externes. (Çank.)
  8. Il embrasse les sens et leurs objets. (Çank.)