Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/614

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
604
revue philosophique

lutte avec le réalisme ; l’empire des intérêts matériels approche. » En 1878, M. Lazarus nous dit à son tour, après avoir signalé la croissance du mal : « Malgré tout, j’ai confiance que les puissances idéales se maintiendront au milieu des périls qui les environnent, et que, soutenues surtout par les progrès de la connaissance de nous-mêmes, dans le sens le plus étendu du terme, loin de succomber, elles finiront par triompher[1]. » C’est donc dans la psychologie que M. Lazarus cherche un remède aux maladies morales de ce siècle ; sans en garantir l’efficacité, nous ne pouvons, comme philosophe, qu’en recommander l’essai. Aussi bien le traitement proposé (à en juger par le volume que nous avons sous les yeux) est prudent, sage et tout au moins inoffensif.

Le docteur Lazarus est actuellement un des vétérans de la philosophie allemande. Psychologue distingué, il s’est fait surtout connaître par son livre intitulé la Vie de l’âme (das Leben der Seele)[2] et par ses travaux originaux sur le langage ; il dirige aujourd’hui une publication importante, la Zeitschritft für Vœlkerpsychologie und Sprachwissenschaft. Chose digne de remarque, il ne paraît pas avoir inventé un nouveau système de métaphysique, et, fait encore plus rare parmi ses compatriotes, il sait donner à ses recherches une forme, nous ne dirons pas attrayante, mais claire et sans pédanterie. N’était-ce qu’un goût exagéré pour l’antithèse et une certaine tendance à l’emphase alourdissent parfois l’allure de son style, on pourrait le ranger dans la classe des écrivains agréables. Du reste, dans la circonstance présente, la lucidité de l’exposition s’imposait à lui comme une condition sine qua non de succès : les dissertations qui composent son nouveau volume sont, en effet, pour la plupart, la reproduction de conférences faites à un public distingué, mais étranger aux mystères de la terminologie savante ; il fallait bien lui parler sa langue, car l’axiome : « Tout Allemand cache un métaphysicien, » n’est plus aussi vrai que jadis, ou du moins le métaphysicien est mieux caché.

Par sa méthode et ses doctrines, M. Lazarus paraît tenir le milieu entre l’école idéaliste et les sectateurs de l’empirisme. Certains de nos spiritualistes contemporains, imbus à la fois de la tradition de Kant et des tendances positives des psychologues anglais, reconnaîtraient en lui un frère. Sans condamner la métaphysique (ce qu’on fait souvent faute de l’entendre), il n’en use qu’avec circonspection et se tient de préférence à l’étude attentive des faits, à l’historique des lois de l’esprit. Aussi, malgré son admiration pour Kant, ne cesse-

  1. Ein psychologischer Blick in unsere Zeit, p. 37.
  2. Voir la Revue de mai 1878.