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reinach. — études psychologiques en allemagne

-t-il de lui reprocher un goût immodéré pour la spéculation, et cette psychologie scolastique qui lui faisait voir des dispositions innées et immuables de la pensée là où il n’y a que le résultat d’une lente transformation opérée à travers les âges et qui se continue indéfiniment. « La science, dit-il, est aujourd’hui modeste. Quand nous pensons qu’une opinion répandue parmi les hommes n’est pas la vraie, quand les contradictions qu’elle renferme donnent naissance à des doutes, nous nous efforçons avant tout de découvrir par quels motifs les hommes ont, de fait, adopté cette manière de voir, et pourquoi l’on n’a pas remarqué leur erreur. » (Idéale Fragen, p. 174). On reconnaît à ces paroles le disciple de Herbart, pour lequel M. Lazarus professe d’ailleurs un véritable culte : on peut s’en assurer par le discours qu’il a prononcé en 1876 à l’inauguration du monument de Herbart à Oldenbourg.

Nulle part « l’déalisme réaliste » de M. Lazarus ne se traduit plus nettement que dans la dissertation intitulée « le Temps réel et le Temps apparent » (Zeit und Weile). L’auteur en a d’abord soigneusement exclu tout rapprochement avec la théorie de l’espace, heureuse innovation dans une étude assez abstruse par elle-même pour qu’on ne la complique pas inutilement par l’adjonction de problèmes étrangers. Qu’est-ce que le temps ? se demande M. Lazarus, question qui paraîtra quelque peu naïve aux naïfs, tant ils se croient familiers avec la nature, l’idée et les effets du temps. Et cependant, en y regardant de plus près, on reconnaît bientôt que toutes les représentations que se fait le vulgaire de cette puissance irrésistible, éternelle, créatrice et surtout destructive, sont des conceptions purement mythologiques nées d’une observation insuffisante et d’inductions prématurées. Les hommes, en présence d’une foule d’effets auxquels ils ne pouvaient assigner de cause adéquate, les ont attribués, en tout ou en partie, à l’action d’une force mystérieuse qu’ils ont douée de pouvoirs imaginaires. Les bâtiments s’écroulent avec le temps ; on crut qu’ils s’écroulent par l’effet du temps (Aristote, Phys. ch., 4). Un poète avait dit : Le printemps amène les amours et les fleurs ; le vulgaire le prit au mot et transforma une saison en une divinité.

Avec les siècles et les découvertes de la science, cette notion enfantine de la nature du temps s’est modifiée ; ce fantôme s’est évanoui dès qu’on l’a pressé. Personne ne soutient plus aujourd’hui que le temps soit une substance ou la qualité d’une substance ; faut-il donc adopter l’opinion diamétralement opposée et ne voir, avec Kant, dans cette prétendue force, qu’une forme a priori de la sensibilité, inhérente à la nature de notre esprit, mais qui ne régit pas nécessai-