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reinach. — études psychologiques en allemagne

Au temps même de Périclès, l’heure était inconnue des Grecs, et une invitation à dîner était rédigée ainsi :. « Venez quand l’ombre de votre corps aura une longueur de neuf semelles. » Sous ce rapport, nous devons nous féliciter des progrès de la civilisation, aujourd’hui que dans le plus modeste village « résonne du haut de la tour de l’église le battement du pouls de l’éternité ».

Notre auteur établit avec beaucoup de justesse une nette distinction entre la mesure de la durée objective et celle de la durée subjective ; c’est la partie originale de son travail. L’impression que fait sur nous une certaine portion de la durée n’est pas toujours, on le sait, en rapport exact avec les indications du chronomètre. Il y a des visites fort courtes qui semblent interminables ; d’autre part, on sait l’histoire de ce sage indien, qui séjourna 904 années avec une nymphe céleste et la retint lorsqu’elle voulut partir en s’écriant : « La nuit n’est pas encore venue. » Il avait pris neuf siècles pour un jour. Nous disons en français : « trouver le temps long, trouver le temps court, » et les Allemands emploient des substantifs équivalents à ces locutions pour désigner l’ennui (Langeweile) et l’amusement (Kurzweile). Il est vrai que le second est aujourd’hui tombé hors d’usage, tandis que le premier s’emploie fréquemment, ce Je mentionne le fait, dit M. Lazarus, mais je n’en veux pas tirer de conséquences. » La cause de ces impressions subjectives réside évidemment dans le rapport entre la durée et son contenu. Une occupation, une conversation nous ennuie quand elle ne remplit pas suffisamment le temps qu’elle dure. Les interruptions fréquentes de l’activité mentale, les intervalles pendant lesquels nous avons conscience que le temps passe : voilà ce qui produit la sensation de l’ennui. Ainsi l’attente est ennuyeuse, la douleur ne l’est pas.

À l’impression subjective se rattache la mesure ou l’évaluation subjective du temps : l’une se rapporte au présent, l’autre au passé ou à l’avenir. Il faut ici distinguer plusieurs cas :

1° On évalue une durée complètement écoulée. On prend alors pour mesure l’abondance ou la disette des événements qui l’ont remplie. Cette évaluation peut conduire à des résultats très-différents de l’impression ressentie autrefois. Par exemple Gœthe écrit dans son Journal, à la date du 1er  mars 1788 : « Ce fut une semaine bien remplie, qui, dans mon souvenir, me fait l’effet d’un mois. D’abord je fis le plan de Faust, ensuite, etc. » Avec quelle rapidité, au contraire, durent, au moment même, s’écouler ces heures délicieuses !

2° On évalue l’intervalle qui nous sépare d’un événement passé. L’évaluation dépend alors soit de la vivacité de l’impression que l’événement a laissée dans la mémoire, soit de la manière dont l’in-