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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/616

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rement la réalité des choses ? M. Lazarus ne le croit pas : « L’espace et le temps sont des rapports objectifs des choses ; ils sont l’ordre véritable dans lequel les choses se trouvent. Quand même tous les autres êtres, et l’homme même, ne sauraient rien de l’espace et du temps, et qu’un seul être pensant vît le monde de cette façon, ce serait là pour cet être la réalité, car ce serait un nouvel élément d’ordre et d’arrangement ajouté à l’univers. Il n’existe pas, à proprement parler, de connaissance du monde absolument objective, car toute connaissance est déterminée non-seulement par la nature des objets, mais encore par celle du sujet pensant ; dès lors le degré d’objectivité d’une connaissance est mesuré par le degré d’harmonie qui règne entre les objets et le sujet qui les conçoit. L’apparence temporelle que revêtent pour nous les choses, quand même elle proviendrait uniquement de la constitution de notre esprit, prouverait du moins que nous sommes des êtres vivant dans le temps ; mais l’harmonie absolue qui règne sous le rapport du temps entre notre pensée et son contenu, c’est-à-dire le monde, accroît notre confiance que notre représentation humaine et subjective des choses doit correspondre à leur nature objective. » (P. 172-173, passim.)

Si le temps n’est ni une substance, ni un attribut, ni une forme de la sensibilité, il reste à dire avec Leibniz[1] (que M. Lazarus a le tort de ne pas nommer) qu’il est le rapport de succession de tous les phénomènes. Cette manière de concevoir la notion du temps en préserve l’objectivité, car le rapport de succession des événements est aussi réel que les événements eux-mêmes. « On ne peut pas se figurer un monde réel, avec une multiplicité d’êtres et d’actions, un monde de forces et de phénomènes, un monde de changements de formations et de déformations, sans que les événements s’y disposent en séries simultanées et successives, c’est-à-dire sans que le temps y existe effectivement. » De cette définition il résulte encore que l’idée du temps ne saurait être une perception (Anschauung), mais qu’elle est une simple représentation (Vorstellung), a parce qu’elle ne correspond pas à un objet réel, psychique, mais à un rapport entre des objets psychiques. »

Les questions de la genèse de l’idée du temps et de la mesure du temps sont traitées avec un certain développement et un heureux choix d’exemples. On est surpris de voir avec quelle lenteur les termes qui désignaient d’abord des portions vagues et indéfinies de la durée ont fini par acquérir un sens précis et vraiment scientifique.

  1. « L’espace est quelque chose de purement relatif comme le temps ; c’est un ordre de coexistence, comme le temps est un ordre de successions. » (Leibnitz, éd. Dutens, II, I, 180.)