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faits d’ordre scientifique et d’ordre moral, incomplète peut-être au point de vue métaphysique, mais digne d’une foi humaine, que s’arrête M. Mayr. « Les idées, dit-il, ne mènent point dans un monde supérieur une existence invariable, éternelle, bienheureuse ; elles ne s’incorporent point non plus dans le devenir de la Nature et de l’Histoire en qualité de forces impulsives pleines de sens et de conséquence. Le monde réel n’est nullement une ombre affaiblie, une mauvaise copie des idées divines, pareille au néant et digne d’y rentrer ; il n’est pas davantage la réalisation pure de ces idées, le devenir d’un esprit objectif, l’évolution lente de l’Absolu, de l’Un, et par suite l’existence bonne, sensée, nécessaire et raisonnable dans chacune de ses phases. S’il y a des idées, si les fins morales et raisonnables règnent quelque part, c’est seulement parce qu’elles germent au cœur de l’homme : elles ne sont que des forces psychologiques, des moteurs de la volonté. Qu’elles soient la seule chose qui donne à l’histoire un sens et la rende digne d’attention, cela pourrait bien être ; à coup sûr elles ne sont pas les seuls agents de son développement. Il n’y a point d’idées latentes occupées à saisir le monde au collet et à le pousser bon gré mal gré vers des fins dernières exclusivement raisonnables. Du sein de forces hétérogènes, aveugles dans leur action, et même employées à leur destruction réciproque, la Nature et l’Histoire tirent, chemin faisant, les formes compossibles de l’existence. Dans la nature comme dans l’histoire, la finalité n’est rien qu’un produit secondaire, un accident curieux issu d’une multitude de faits conditionnés par la loi de causalité. S’il y a des degrés de développement, s’il y a un progrès de l’inférieur au supérieur, d’abord la constatation de ce fait relève de l’expérience et non de la spéculation ; en second lieu, cette conformité à des fins doit être acceptée telle que l’expérience nous la donne, sans y rien retrancher ou ajouter, sans en torturer le sens, sans la fausser ou l’inventer. Le monde idéal de la perfection et de ses degrés infinis n’en reste pas moins, malgré tout, le domaine propre du philosophe. Sans doute il lui faut pénétrer d’un regard clairvoyant le système des forces historiques et leur fonctionnement (puisqu’il y a là d’ordinaire des forces psychiques, comme on a dit plus haut), mais sa tâche par excellence nous paraît être de s’élever à une vue d’ensemble d’où il absolve (Hegel) ou condamne (Platon) le monde tel qu’il a été et tel qu’il est. »

En même temps qu’elle étudiait le platonisme avec des sentiments d’adoration fervente, la Renaissance reprenait aussi et retravaillait les diverses conceptions de l’histoire adoptées par les autres écoles antiques, à savoir la théorie aristotélicienne du développement organique des peuples, la théorie stoïcienne des cycles, la théorie épicurienne du hasard ; et par-dessus tout cela on agitait encore la question supérieure de la dégénérescence ou du progrès de l’humanité. La pensée d’Aristote était que l’État passe par les mêmes phases de santé et de maladie que l’individu ; à partir de la maturité, c’est-à-dire en dehors d’une certaine condition dite normale, il décline. Elle contenait en germe la théorie