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nolen. — les nouvelles philosophies en allemagne.

tout comme aux manifestations inférieures de la vie. Mais le mécanisme évolutionniste n’est qu’un des facteurs, non l’unique agent de la conservation et du progrès dans la nature. Il ne fait que préparer le champ où les interventions de l’Inconscient déposent les semences fécondes de l’avenir. D’ailleurs les lois darwiniennes ne sont pas exclusivement mécaniques ; et Hartmann a curieusement fait ressortir, pour les justifier et les étendre, tous les éléments de finalité qu’elles renferment. — Lange, au contraire, voudrait bannir du darwinisme toute cette finalité qui semble vouloir s’y dissimuler sous des noms équivoques. Il ne voit en lui qu’une hypothèse propre à préparer la voie à l’extension universelle des formules du mécanisme. Sous ce rapport, ses critiques sont faites à un point de vue diamétralement opposé à celui de Hartmann : rien de plus intéressant et de plus instructif que ce contraste. D’un autre côté, quoique aussi fortement préoccupé, disons mieux, beaucoup plus soucieux que Dühring des conséquences pratiques et sociales des doctrines, Lange ne fait jamais intervenir dans la discussion d’autres arguments que des raisons purement scientifiques. Il ne lui paraît pas que le darwinisme soit menaçant pour la liberté et le progrès de la société. Et le culte religieux qu’il professe pour la dignité humaine ne voit aucun sujet de s’alarmer des nouveautés de la concurrence vitale.

Toutes les différences que nous avons déjà signalées viennent se résumer et s’accentuer encore davantage dans les conceptions de nos philosophes sur l’homme.

Dühring et Hartmann voient dans l’homme le couronnement, la fin de l’évolution de la nature. Le monde serait une œuvre aussi insensée qu’un spectacle sans spectateurs, si la raison consciente qui doit le contempler et l’apprécier ne faisait son apparition et n’arrivait à son entier développement dans l’humanité. Chez Dühring, l’homme est l’enfant de la nature ; il l’aime et s’abandonne docilement à ses impulsions. C’est avec joie qu’il assiste comme spectateur, c’est avec sérénité qu’il s’associe de toute son énergie au mouvement de la vie universelle. Pour Hartmann, la nature est une Circé, dont les breuvages versent la douleur avec l’ivresse, dont les caresses cachent des pièges. Mais la raison, aidée de la science, démasque et déjoue toutes ces ruses ; et l’homme, plus grand et meilleur que la nature, la condamne et doit travailler à l’anéantir. Ce n’est ni en ami, ni en adversaire que Lange se pose en regard de la vie. Il ne loue ni ne condamne sans réserve la nature. Il fait plus : comme Fichte, il la supprime. Elle n’est qu’un produit de la pensée, qu’une représentation purement subjective de l’esprit. Ce