Aller au contenu

Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/64

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
54
revue philosophique

qui nous enchante en elle, c’est ce que nous y avons mis nous-mêmes. C’est notre œuvre que nous admirons dans la sienne.

L’attitude si différente de ces trois hommes, en regard de la nature et de la vie, trahit assez clairement l’opposition radicale de leurs idées touchant le rapport de l’homme à l’univers. Ils ne s’entendent pas mieux sur la question tant controversée de la descendance. Dühring, nous l’avons vu, rejette absolument la théorie darwinienne. L’humanité, pas plus que les autres espèces vivantes, ne s’explique par la seule action des forces physiques et physiologiques. Elle est la réalisation d’un type spécifique, dont la matière porte en soi le germe. Hartmann admet que l’espèce humaine dérive d’une espèce animale ; et que l’œuf, d’où est sorti le premier homme, n’était que l’œuf d’une espèce très-haut placée dans la série zoologique, et dont l’organisation et les facultés étaient plus rapprochées du type humain que celles de toute autre espèce. L’action de la puissance créatrice, l’intervention de l’Inconscient a dû toutefois déposer dans l’œuf ainsi préparé par l’évolution au sein de l’espèce inférieure le germe des différences caractéristiques de l’espèce supérieure. Lange veut bannir complètement de la science toute spéculation métaphysique. Le mécanisme doit seul éclairer scientifiquement le fait de l’apparition de l’homme. Lange se déclare absolument rallié, sinon aux hypothèses particulières, au moins au principe et à la méthode des partisans de la théorie de la descendance. Mais n’oublions pas que pour lui le mécanisme ne s’applique qu’aux mouvements de la matière, soit vivante, soit inorganique ; et que la conscience et la sensation, la pensée en un mot, au sens large de la terminologie cartésienne, est absolument réfractaire aux explications du mécanisme, c’est-à-dire aux explications scientifiques à proprement parler. N’oublions pas non plus que la matière, le mouvement et ses lois ne sont que des abstractions de l’esprit, que des catégories nécessaires à l’entendement pour coordonner et rendre intelligibles les sensations. Songeons enfin que la sensation est le fait primitif et irréductible de la conscience ; et que la notion scientifique de la matière est un produit ultérieur et laborieux de l’entendement. Au fond, nos trois philosophes sont d’accord pour reconnaître que le pur mécanisme est impuissant à rendre compte, à lui seul, de la nature de l’homme toute entière.

Nous avons déjà signalé, en exposant leurs théories sur la connaissance, les différences que présentent leurs conceptions du rôle et de la valeur des facultés intellectuelles. Ils sont, au contraire, unanimes à rejeter le libre arbitre. La liberté n’est, pour Dühring et Lange, qu’un autre nom donné à la raison ; ou encore, il n’y a de