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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/653

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analyses. — secrétan. — Discours laïques.

prouver et peindre cette impuissance incurable de la raison à tout expliquer, M. Secrétan a tout à la fois la rigueur de Kant et l’éloquence de Pascal. — Mais, si l’entendement a des limites qu’il ne saurait franchir, sans s’anéantir lui-même par la contradiction, l’entendement n’est pas l’homme tout entier. En nous, la conscience parle un langage clair et précis, et si, dans l’ordre de la science, l’autorité de l’entendement est infaillible, hors de la science, celle de la conscience ne l’est pas moins. C’est donc le commandement de la conscience, l’impératif catégorique, qu’il faut prendre pour point de départ de la spéculation métaphysique, et nous avons à procéder ainsi, non pas seulement un intérêt spéculatif, mais le plus élevé des intérêts moraux : le commandement de la conscience demeure incompréhensible tant qu’on ignore l’existence et la nature du législateur dont il émane. Par ces vues, M. Ch. Secrétan inaugurait, il y a longtemps déjà, cette métaphysique morale qui tend chaque jour davantage à se substituer à la métaphysique intellectualiste.

Nous ne pouvons, à propos des Discours laïques, qui, bien que parus beaucoup plus tard, en l’année 1877, sont cependant les prolégomènes de la Philosophie de la liberté, esquisser le plan de cette philosophie. Marquons-en pourtant les traits principaux, ce qu’il faut pour en faire voir l’originalité : L’homme se sent obligé ; — cette obligation est la preuve de la liberté ; — une liberté ne peut être obligée que par un être supérieur-, — cet être ne peut être que libre ; — la liberté absolue est son essence ; — Je suis ce que je veux, est sa formule. Telle est la limite infranchissable de toute pensée. Cette notion d’une liberté absolue paraît inintelligible. Il doit en être ainsi. Si la pensée, qui porte partout la nécessité avec elle, y pénétrait, elle y introduirait sa logique et ses exigences. Alors comment s’expliquerait l’existence de la liberté humaine et de l’obligation ? La philosophie de la liberté, pour sauver la liberté, aboutit donc à un premier principe duquel on ne peut rien déduire. La métaphysique nous conduit donc à une impasse. Mais le fait de notre existence nous apprend que l’absolue liberté a voulu, qu’elle s’est déterminée.

Nous sommes, et nous sommes libres. Partant de là, nous devons concevoir une production du monde qui rende la liberté possible. La création seule donne la clef du mystère. La création est en effet une production bénévole et gratuite qui n’est en rien imposée à l’être producteur et qui ne peut aboutir qu’au bien de l’être produit. Or quel autre mode de causalité est compatible avec la liberté absolue ? Et quel bien plus grand que la liberté peut-on imaginer dans l’effet de l’acte créateur ? Le motif de la création est donc l’amour, l’amour pur de tout égoïsme, qui veut uniquement le bien de l’être aimé. L’homme est par suite une créature voulue par amour, c’est-à-dire voulue avec tout le bien compatible avec son essence.

Mais, en fait, cette liberté humaine qui semble inaliénable, puisqu’elle est la conséquence d’un décret divin, absolu comme tout ce qui