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moins qu’il ne le sache par la vue,… et, comme le sensorium doit connaître à chaque moment si le mouvement s’est produit avant d’innerver le suivant, il y a de l’incoordination. »

D’après M. Lewes, toutes les solutions proposées jusqu’ici sont incomplètes. Ni la théorie de la sensibilité périphérique, cutanée ou musculaire, ni la théorie du sentiment de l’innervation centrale ne sont, prises à part, complètement vraies. Que faut-il donc entendre par sens musculaire ?

En fait, nous devons comprendre « sous le nom de sens musculaire les sensations dérivées : 1º des impulsions motrices ; 2° des intuitions motrices ; 3° des contractions musculaires ; 4° des effets de ces contractions sur la peau, etc. ; 5° des coordinations musculaires, c’est-à-dire les sensations qui suggèrent ou accompagnent les mouvements idéaux non exécutés et celles qui suggèrent ou accompagnent les mouvements réels. » — « Un mouvement est produit par des contractions musculaires ; les muscles sont innervés par un centre ; ils ont des enveloppes, des tendons, et, quand ils se contractent, ces enveloppes et ces tendons sont comprimés, tiraillés ; et les membres ne peuvent se remuer sans comprimer les surfaces articulaires. Cependant, quelque indispensables que soient les nerfs, les muscles et la peau dans la production des sensations musculaires, ce n’est ni le nerf, ni le muscle, ni la peau, pris ensemble ou séparément, qui sont le siège de la sensation : c’est le sensorium. »

M. Lewes a surtout développé dans son travail cette théorie que des excitations provoquées par la contraction musculaire pouvaient être transmises aux centres nerveux par des courants récurrents parcourant les nerfs moteurs eux-mêmes, c’est-à-dire allant de la périphérie au centre (l’influx moteur va, comme on le sait, du centre à la périphérie). C’est à tort, selon lui, qu’on a opposé les nerfs moteurs aux nerfs sensitifs[1]. Ayant la même structure, ces nerfs ont les mêmes propriétés, celle de transmettre des excitations. S’ils ont des fonctions différentes, c’est par suite de la différence de leurs connexions, de leur distribution anatomique. La conductibilité dans un nerf est indifférente, elle peut se faire dans un sens ou dans l’autre ; et, pour le prouver, M. Lewes rappelle les expériences classiques de M. P. Bert sur la greffe animale ; mais nous ferons remarquer que depuis les recherches des histologistes, de M. Ranvier principalement, l’expérience de Bert sur la queue du rat paraît avoir perdu toute signification en ce qui concerne ce point particulier.

  1. M. Lewes est très-hostile, comme on le sait, à la théorie de l’énergie spécifique des nerfs. Voir sur ce point son article de la Revue philos., tome I, p. 160.