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lewes. — le sens musculaire

que le sentiment caractéristique d’une force mise en jeu soit le résultat de la transmission par les filets sensitifs ; au contraire, nous sommes tenus de supposer que ce sentiment est l’accompagnement du courant centrifuge qui stimule les muscles à l’action[1]. »


M. Lewes, dans un article qu’il vient de publier dans le premier numéro de Brain, expose, discute et rejette finalement ces diverses théories, pour en proposer une plus large, comprenant ce qu’il y a de vrai dans chacune des autres.

Il fait remarquer que la sensibilité cutanée ne suffit pas pour expliquer tous les phénomènes de la sensibilité musculaire. En effet, il y a des malades (des hystériques principalement) qui offrent une anesthésie cutanée absolue, qui sont insensibles au froid, au chaud, au contact, aux frottements, aux piqûres et qui néanmoins ont conservé la parfaite coordination de leurs mouvements et peuvent apprécier le poids, le volume et même la forme des objets. Les expériences sur des grenouilles dépouillées, ou bien auxquelles on a coupé les racines postérieures des nerfs des membres, sont aussi concluantes. Cependant la sensibilité cutanée joue un rôle important dans la coordination des mouvements, et une anesthésie provoquée de la plante des pieds peut donner lieu, comme l’a indiqué Heydt, à des phénomènes d’incoordination musculaire.

Les théories de Müller, Bain, etc., ne sont pas non plus suffisantes. Il est très-vrai de dire que nous avons « une notion de la quantité d’action nerveuse que le cerveau est excité à mettre en jeu », si par notion nous entendons une « intuition motrice résultant d’expériences enregistrées », de même que nous avons une idée exacte d’un cercle avant de le tracer, une idée exacte de la douleur qui suivra une piqûre avant que l’épingle ait touché la peau. Mais comment, à l’aide d’une notion préexistante à l’expérience, expliquer les cas où des personnes atteintes d’anesthésie peuvent tenir dans leurs mains un objet aussi longtemps qu’elles le regardent, marcher, se tenir debout tant qu’elles ont les yeux ouverts, tandis qu’elles laissent tomber les objets et chancellent dès qu’elles ferment les yeux ? Ont-elles perdu leur sensibilité musculaire ? Ces faits montrent au moins que la coordination est aidée par la vue. « La perte des sensations cutanées habituelles trouble la qualité habituelle de la sensation complexe, et, bien que le sens de l’effort existe, le sens de l’effet est absent. Le malade n’éprouve pas les conséquences habituelles d’un mouvement, et par suite il ne sait s’il s’est effectué ou non, à

  1. Bain, les Sens et l’Intelligence (trad. Cazelles), p. 59.