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ANALYSES. — Der Ursprung der Sprache.

mais elle apparaît surtout dans la manière de traiter le verbe. Ainsi, parmi les langues de la seconde classe, tandis que les langues maléo-polynésiennes n’affectent au verbe aucune expression caractéristique, les autres, comme les langues américaines, caractérisent le verbe à l’aide d’affixes pronominaux. Dans la première classe sont comprises les langues indo-européennes, et aussi le chinois. Le chinois en effet, avec une merveilleuse conséquence, renonce à désigner par des formes phonétiques les rapports grammaticaux, et par là il garde intact son principe constitutif. — C’est cette classification que M. Steinthal a adoptée et complétée ; elle a l’avantage immense de nous présenter dans un tableau d’ensemble le caractère spécial et la tournure d’esprit des différents peuples.


II. On en était là relativement à l’origine du langage, quand les progrès de la géologie, venant en aide aux idées transformistes, ramenèrent les esprits à la conception d’un âge préhistorique jusqu’alors vaguement entrevu. Le langage, qu’on avait considéré comme le résultat d’une subite éclosion, n’était-il pas, lui aussi, l’œuvre d’une longue élaboration intellectuelle ?

Parmi les linguistes qui abordèrent cet intéressant problème, M. Steinthal étudie d’abord L. Geiger, chercheur aventureux et indiscipliné dont l’œuvre a été interrompue par une mort trop hâtive[1]. Dans l’état, ses travaux, si on laisse de côté une « histoire des idées » trop hypothétique, portent sur trois points essentiels : 1° les rapports du langage et de la pensée ; 2° l’évolution du langage sous le rapport des sons et des idées ; 3° un essai de grammaire générale.

Rapports du langage et de la pensée. — Le mot ne signifie pas, comme on l’a cru souvent avec Harris, l’objet sensible ; il ne représente pas davantage une sensation isolée, mais toujours un concept, c’est-à-dire un objet de l’entendement, des éléments intégrants d’un monde déjà pénétré par la pensée et devenu matière de la pensée. Serait-ce donc que, suivant l’opinion de Becker et de quelques autres, l’idée soit poussée par une sorte de nécessité inhérente à se transformer en son articulé ? Nullement : Geiger soutient que par elle-même l’idée est indépendante du mot, et il proclame la diversité originelle des langues. Mais alors si les mots ne sont point des effets nécessaires de l’activité mentale, comment sont-ils compris ? C’est, il semble, que quelques concepts élémentaires, très-primitifs, ont, à l’exclusion des autres, possédé la propriété de provoquer des mouvements vocaux : avant tout les idées de certains sons naturels ont dû provoquer des onomatopées, irréfléchies, intelligibles immédiatement à cause de leur caractère imitatif. Telle est du moins l’explication acceptée de la majorité des

  1. Œuvres de Geiger : Ursprung und Entwicklung der menschl. Sprache und Vernunft, tome 1er publié par l’auteur (1868) ; le 2e tome fut publié en 1872, après sa mort. — Der Ursprung der Sprache (1869). — Vorträge zur Entwicklungs-geschichte der Menscheit.