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tannery. — la théorie de la connaissance

homme de sa valeur a pu se faire illusion à ce point sur la portée d’une argumentation qu’il considère sans doute comme une partie capitale de son œuvre ; il se devrait tout au moins de la compléter, ne fût-ce qu’afin que, dans l’avenir, elle pût servir d’exemple singulier de paralogisme.

En somme, cette démonstration, telle qu’elle est présentée, si on la dégage de son appareil mathématique ou soi-disant tel, revient au fond à ceci. On ne peut pas penser un espace autrement qu’avec trois dimensions, parce qu’on ne peut pas se le représenter (l’imaginer) autrement. Une telle conclusion ne peut faire faire aucun pas à la question.

Les arguments présentés par M. Schmitz-Dumont contre la géométrie non euclidienne ont en général plus de valeur. Mais, comme ils ne contiennent en fait rien de bien nouveau, et que cette question a déjà été longuement traitée ici même[1], je m’abstiendrai également de les discuter par le détail, en me contentant de rappeler brièvement à cette occasion la thèse générale que nous avons posée plus haut.

Nous avons dit que l’analyse et la critique des concepts fondamentaux d’une science doivent être poursuivies suivant les procédés et d’après les principes spéciaux à cette science ; en d’autres termes, qu’elles rentrent absolument dans les problèmes qu’elle étudie. Ajoutons que le développement historique montre que cette critique ne se fait nullement a priori, mais bien a posteriori, d’après les conséquences qu’on en déduit ; suivant les résultats de cette critique, ces concepts se précisent et se modifient successivement, — comme, par exemple, cela a eu lieu, en algèbre pure, à une époque relativement récente, pour le concept de la série illimitée, — de manière à faire disparaître les déductions contradictoires ; lorsque l’analyse a été poussée assez loin pour que de telles déductions ne soient plus à craindre, le concept scientifique est définitivement constitué, et il n’y a nullement à le soumettre à une autre épreuve.

Or les travaux de Lobatchefski et de Bolyai ont consisté en fait dans l’analyse du concept du parallélisme, considéré comme relation limite de position entre deux droites dont le point d’intersection s’éloigne à l’infini. Il s’agissait de savoir si ce concept était identique avec celui de la relation de position entre deux droites ayant une perpendiculaire commune, ainsi que l’admet le postulatum d’Euclide. Or il est absolument établi que l’hypothèse de la différence des deux concepts n’entraîne aucune contradiction finale, aucune im-

  1. Revue philosophique, t. ii, p. 433 ; iii, p. 533 ; iv, p. 524.