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(caso) qui se trouve dans la Formation naturelle du système solaire. On se souvient que, d’après Ardigò, les phénomènes restent indéterminés et contingents, malgré le déterminisme auquel ils sont soumis (naturalità), parce que des causes en nombre infini se mêlent dans leur production, et que nous ne pouvons formuler cette équation de l’infini qui se trouve impliquée dans le calcul des chances qu’a chacun d’eux de se produire. Soit une plume abandonnée dans l’air ; on ne peut savoir d’avance où elle ira tomber, parce que les impulsions qu’elle recevra pendant sa chute échappent à la prévision et restent indéterminées. M. E. Ferri objecte que l’indétermination est ici relative à l’ignorance où nous sommes des données du problème ; à mesure que ces données sont plus limitées, on voit, dit-il, l’indétermination se restreindre, et il est des cas où elle disparaît tout à fait. Il nous semble que R. Ardigò n’a pas d’autre pensée. Suivant lui, l’indétermination ne disparaît jamais complètement, parce que les chances d’interruption et de bifurcation pour une série donnée de phénomènes, bien que très-diminuées parfois, et en fait négligeables, subsistent toujours ; on peut toujours craindre par exemple un cataclysme, un bouleversement des conditions actuelles de la planète. Pour tout le reste, il est d’accord avec M. E. Ferri. Seulement celui-ci ne voit pas un aspect profond de la doctrine : c’est que l’indétermination pour nous, l’indétermination relative à l’état de nos connaissances, quand elle résulte de l’intervention de l’infini, devient absolue, et qu’ici le point de vue logique et le point de vue réel ne font qu’un. Que nous sert d’affirmer qu’un mouvement est déterminé, si nous ne pouvons parvenir à le déterminer, non pas à cause de l’imperfection momentanée de nos connaissances, mais en raison de la limitation de notre esprit, à jamais incapable d’embrasser la totalité des causes en action dans l’infini de l’espace et du temps ? Il nous semble encore que le maître garde l’avantage sur le disciple dans une seconde discussion au sujet de l’idée d’ordre. Ardigò soutient que partout et toujours l’univers est ordonné ; M. E. Ferri montre avec finesse que c’est nous qui le faisons tel et condamne au chaos l’univers tel qu’il est indépendamment de la pensée. Comme si la réalité de l’existence pouvait être séparée de l’idée que nous en avons ! Enlevez à un groupe de phénomènes l’un des caractères qui nous le font paraître régulier, sous le premier caractère un autre se montrera qui présentera un ordre inférieur, et ainsi de suite, tant que la réalité du phénomène ne sera pas détruite. Car, affirmer qu’un phénomène est réel, c’est le penser, et le penser, c’est y faire pénétrer un ordre. Ardigò a raison : le chaos n’existe pas, parce qu’il n’est pas intelligible.