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percept et du concept ; chaque portion de la chaîne ne se distingue plus seulement par une différence de sensation ; chacune de ces portions est maintenant, à la fois, un percept et un concept, un percept, en tant qu’elle est considérée en elle-même, un concept, en tant qu’on la considère en relation avec les autres et qu’on la trouve incomplète par elle-même, en tant qu’elle est, pour employer une expression dont nous nous sommes déjà servi, un percept d’attente (an expectant percept). Ainsi toute portion de la série de nos états de conscience, depuis le minimum jusqu’à la portion la plus étendue que l’on puisse séparer, est un percept, considérée en elle-même ou dans ses relations à la conscience seule, et un concept, au contraire, dès qu’on la considère dans ses relations avec d’autres objets de la conscience.

Voyons comment l’attention modifie la suite de nos états intérieurs. Nous devons rappeler ici la distinction de la conscience primitive et de la conscience directe, car la conception n’est pas la même dans les deux cas. C’est elle en effet qui, dans l’exercice de la conscience primitive, forme les objets. L’expérience ne nous donne pas plus les « objets » tout faits, qu’elle ne nous donne les nombres tout comptés ou les espaces tout mesurés. C’est à l’enfant à se faire, subjectivement, un monde d’objets, en modifiant par l’attention le train d’une rédintégration spontanée, et en la vérifiant au moyen de présentations. Or la loi fondamentale de tout raisonnement considéré comme une action, c’est la loi de parcimonie : Frustra fit per plura quod fieri potest per pauciora. Cette loi nous fait grouper le contenu le plus grand possible sous le plus petit nombre de divisions qu’il se peut. Comme l’a fort bien dit M. Bain, « ces attributs essentiels (primary) de l’intellect sont la conscience de la différence, la conscience de la ressemblance et la mémoire. » Remarquer les différences, c’est séparer et par cela même former les objets ; remarquer les ressemblances, c’est se donner les idées générales. Tous les jours et tout le jour, au temps de la conscience primitive, nous combinons ces deux méthodes, et nous nous enrichissons ainsi de faits et de concepts.

Pour la conscience directe, les objets sont supposés déjà formés ; nous sommes alors en présence d’un monde de faits. Nous raisonnons encore de la même manière ; seulement, au lieu de prendre une sensation comme la chose fixée par l’attention dans la rédintégration, nous prenons maintenant un objet. Nous obéissons à la même loi de parcimonie ; seulement, comme notre point de départ désormais n’est pas simple, mais complexe, le cours du raisonnement se modifie en conséquence. « Nous pouvons considérer un objet et le