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penjon. — métaphysique phénoméniste en angleterre

crée en y pensant, mais qui peut aussi imaginer à l’infini des phénomènes semblables à ceux qu’elle a pour objets. Le grand mérite de M. Hodgson nous paraît être d’avoir combattu, avec plus de force que personne avant lui, la vieille doctrine péripatéticienne, séparatiste, d’après laquelle un monde d’objets tout faits est dès le principe livré aux prises d’une intelligence qui, sans qu’on puisse expliquer comment, le connaîtra, le pénétrera par degrés. Il y a beaucoup d’analogies entre la philosophie de la réflexion et le criticisme de Kant, dont notre auteur parle toujours avec le plus grand respect ; il y a aussi de profondes différences ; par exemple, il ne reste plus trace des noumènes, et le temps, l’espace ne sont plus des formes, mais bien des éléments mêmes de la pensée. De même, M. Hodgson fait grand cas des théories de Ferrier ; mais il lui reproche d’avoir à tort confondu les aspects, les éléments et les conditions des phénomènes ; il lui reproche surtout d’avoir soutenu que toute connaissance implique la connaissance de soi-même, en d’autres termes de n’avoir pas distingué, au-dessous de la conscience réfléchie et avant elle, la conscience simple, pour laquelle la séparation du sujet et de l’objet n’est pas encore faite. Cette remarque est peut-être la plus propre à faire entendre, si nous l’avons bien comprise, la doctrine de M. Hodgson : tout se réduit pour lui à un devenir de phénomènes, parmi lesquels, à un moment donné, apparaît et intervient la réflexion ; de ce moment seulement date la distinction du moi et du non-moi, et l’un et l’autre bientôt se solidifient, si l’on peut ainsi parler, au point que les hommes ont naturellement cru voir des substances dans un monde purement phénoménal. Mais l’étude de la réflexion, de son œuvre reprise et suivie dès l’origine, quelques difficultés que l’emploi d’un langage fait pour un tout autre usage oppose à cette sorte de travail, montre bien qu’il n’y a pas de pareilles substances, ni matérielles ni immatérielles, mais seulement des phénomènes capables d’être ordonnés sous certaines lois. Nos émotions, d’autre part, nos sentiments moraux, des phénomènes aussi, nous portent à concevoir au bout de nos recherches un idéal phénoménal lui-même, très-propre cependant à réagir sur notre conduite, dont la liberté, au sens vrai du mot, est exclue pour laisser la place au plus rigoureux déterminisme. À ce point de vue, nous ne saurions mieux finir qu’en citant cette phrase tirée d’une espèce de postscriptum au livre qui nous occupe : « Les scolastiques disent : D’abord, il y a un Être parfait, et, alors, nous pouvons l’aimer de tout notre cœur. Je renverse cet ordre ; je dis : D’abord, nous sommes capables d’aimer de tout notre cœur ; donc, l’objet de cet amour est Dieu. »

A. Penjon.