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stuart mill.fragments inédits sur le socialisme

fomente et entretient entre tous les individus qui la composent. Et toutes ces luttes, et toutes ces guerres correspondent à des oppositions radicales, à de profondes antinomies de tous les intérêts. Autant vous pourrez établir de classements et de catégories dans les nations, autant vous aurez d’oppositions d’intérêts, de guerres patentes ou latentes, à n’envisager même que le système industriel[1]. »

Une des idées maîtresses de cette école, c’est le gaspillage et en même temps l’immoralité des arrangements existants pour la distribution des produits du pays entre les divers consommateurs : l’énorme superfluité du nombre, des agents de distribution, les négociants, les marchands de détail, boutiquiers et leurs innombrables employés ; enfin le caractère démoralisant d’une telle distribution et de ces occupations.

« Il est évident, dit M. Considérant, que l’intérêt du commerçant est en lutte avec celui du consommateur et du producteur. Le même objet qu’il a intérêt à vous vendre cher, qu’il vous vend cher en effet, et dont il vante, outre mesure, la qualité, n’a-t-il pas eu intérêt à l’acheter bon marché au producteur qui l’a créé ? Ainsi l’intérêt du corps commercial, collectivement et individuellement envisagé, est en opposition avec celui du producteur et du consommateur, c’est-à-dire du corps social tout entier.

« Le commerçant est un entremetteur qui met à profit l’anarchie générale et la non-organisation de l’industrie.

« Le commerçant achète les produits, il achète tout, il est propriétaire et détenteur de tout, de telle sorte que :

« 1o Il tient sous le joug la production et la consommation, puisque toutes deux sont obligées de lui demander, soit les produits à consommer en dernier terme, soit les produits bruts qui doivent être encore travaillés, les matières premières. Le commerce, avec ses menées d’accaparement, de hausse et de baisse, ses opérations sans nombre et la propriété intermédiaire des objets, rançonne à droite et à gauche ; il fait durement la loi à la production et à la consommation, dont il ne devrait être que le commis subalterne.

« 2o Il spolie le corps social par ses immenses bénéfices, bénéfices prélevés sur le consommateur et le producteur, et tout à fait hors de proportion avec des services que le vingtième des agents qu’il emploie suffirait à rendre.

« 3o Il spolie le corps social par la distraction des forces productives en enlevant aux travaux de création les dix-neuf vingtièmes de ses agents, qui sont de purs parasites. C’est-à-dire qu’il ne spolie pas

  1. V. Considérant, Destinée sociale, 3e édit., Paris, 1848, I, 38, 40.