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seulement en s’appropriant des valeurs sociales à doses exorbitantes, mais encore en diminuant considérablement l’énergie productive de l’atelier social. La très-grande majorité de ses agents reviendront aux fonctions productives, aussitôt qu’une organisation commerciale rationnelle sera substituée à l’inextricable état de choses actuel.

« 4o Il spolie le corps social par la falsification des produits, falsification qui se pratique aujourd’hui avec une fureur poussée au delà de toutes les bornes. En effet, quand cent épiciers se sont établis dans une ville où il n’y en avait antérieurement que vingt, on ne consomme pas plus de denrées épicières dans cette ville. Voilà donc ces cent vertueux marchands obligés de s’arracher le profit que faisaient honnêtement les vingt premiers. La concurrence les force à se rattraper aux dépens de la consommation, soit par l’élévation des prix, ce qui arrive quelquefois, soit par la falsification des produits, ce qui arrive toujours. Dans un pareil état de choses, il n’y a plus ni foi ni loi. Les denrées inférieures ou frelatées sont vendues comme denrées de bonne qualité, toutes les fois que le chaland bénin n’est pas assez connaisseur pour y voir clair. Et, quand elle a bien attrapé ledit chaland, la conscience mercantile se réconforte en se disant : « Je fais mon prix, on est libre de prendre ou de ne pas prendre, je ne force personne à acheter. » Les pertes dont la falsification et la mauvaise qualité des produits grèvent la consommation sont incalculables.

« 5o Il spolie le corps social par des engagements factices ou non, à la suite desquels d’immenses quantités de marchandises encombrées sur un point s’avarient et se détruisent faute d’écoulement. Écoutons Fourier : Le principe fondamental des systèmes commerciaux, le principe : Laissez une entière liberté aux marchands, leur accorde la propriété absolue des denrées sur lesquelles ils trafiquent ; ils ont le droit de les enlever à la circulation, de les cacher et même de les brûler, comme l’a fait plus d’une fois la Compagnie orientale d’Amsterdam, qui brûlait publiquement des magasins de cannelle pour faire enchérir cette denrée ; ce qu’elle faisait sur la cannelle, elle l’aurait fait sur le blé, si elle n’eût craint d’être lapidée par le peuple ; elle aurait brûlé une partie des blés pour vendre l’autre au quadruple de sa valeur. Eh ! ne voit-on pas tous les jours dans les ports jeter à la mer des provisions de grains que le négociant a laissé pourrir pour avoir attendu trop longtemps une hausse ? Moi-même, j’ai présidé, en qualité de commis, à ces infâmes opérations, et j’ai fait un jour jeter à la mer vingt mille quintaux de riz, qu’on aurait pu vendre avec un honnête bénéfice, si le détenteur eût été moins avide de gain. C’est le corps social qui supporte la perte de ces dé-