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stuart mill.fragments inédits sur le socialisme

« Le principe aujourd’hui en vigueur consiste à pousser une grande partie de la société à dévouer sa vie à la distribution de la richesse, sur une échelle immense, moyenne ou petite, à la transporter d’un lieu à un autre en quantité plus ou moins grande, pour aller au-devant des besoins des diverses parties de la société et des individus, répartis aujourd’hui dans des villes, bourgs, villages et hameaux. Ce principe de distribution crée, dans la société, une classe dont toute l’affaire consiste à acheter à une partie pour vendre à une autre. Grâce à cette façon de faire, les membres de cette classe se trouvent invités à entreprendre d’acheter à un prix qui paraît au moment même sur le marché un bas prix, et à revendre au plus grand bénéfice durable qu’ils peuvent trouver, leur véritable objet étant de faire autant de bénéfice ou de gain que possible en passant du vendeur à l’acheteur.

« Il y a des erreurs de principe et des maux innombrables dans les pratiques qui découlent nécessairement de ce mode de distribution de la richesse de la société :

« 1o Il se forme une classe générale de distributeurs, dont l’intérêt est séparé de celui de l’individu à qui ils achètent et à qui ils vendent, et paraît même y être opposé.

« 2o Il se crée trois classes de distributeurs, d’acheteurs et de vendeurs : les petits, les moyens, les grands ; les détaillants et les marchands de gros ; enfin les grands négociants.

« 3o Trois classes d’acheteurs créées constituent les acheteurs petits, moyens et grands.

« Cette répartition des acheteurs et des vendeurs en des classes distinctes enseigne aux uns et aux autres qu’ils ont des intérêts séparés et opposés, des rangs et des situations différentes dans la société. Cela crée et entretient une inégalité de sentiments et de condition, avec tout le servilisme et l’orgueil qu’une telle inégalité ne manque pas de produire. Les parties s’instruisent régulièrement à pratiquer un système de tromperie, afin de mieux réussir à acheter à bon marché et à vendre cher.

« Les petits vendeurs prennent des habitudes d’oisiveté, parce qu’ils attendent, souvent, plusieurs heures, les chalands. On a constaté que ce mal est très-étendu, même chez les marchands en gros. Par suite de cet arrangement, il existe plus d’établissements de vente qu’il n’est nécessaire dans les villages, les bourgs et les villes ; un capital énorme se gaspille ainsi sans profit pour la société. Et tous ces établissements, adversaires les uns des autres sur toute la surface du pays, voulant gagner des clients, tâchent de vendre à plus bas prix les uns que les autres, et par con-