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stuart mill.fragments inédits sur le socialisme

subsistances, elle doit exercer toujours sur les subsistances une pression plus forte. La différence entre les anciens malthusiens et M. Louis Blanc consiste en ce que les premiers voyaient dans cet écart un effet incoercible, tandis que M. Louis Blanc croit qu’on peut le réprimer, mais par un seul moyen, l’application d’un système de communisme. C’est un grand point de gagné pour la vérité que l’on en vienne à reconnaître que la tendance à l’accroissement excessif de la population est un fait dont le communisme aussi bien que l’ordre social actuel auraient à s’occuper. Il y a grandement lieu de se réjouir de voir cette nécessité reconnue par les chefs les plus considérables de toutes les écoles actuelles de socialisme. Owen et Fourier l’ont admise non moins que M. Louis Blanc, et ils ont revendiqué pour leurs systèmes respectifs l’honneur de résoudre mieux que les autres cette difficulté. Quoi qu’il en soit, l’expérience montre que, dans l’état actuel de la société, la pression de la population sur les subsistances, cause principale de l’avilissement des salaires, encore qu’elle soit un grand mal, n’est pas un mal qui l’aggrave. Au contraire, le progrès de tous les avantages, qu’on résume sous le nom de civilisation, tend à s’atténuer, tantôt par l’accroissement du nombre des moyens d’employer les ouvriers et de leur assurer du travail, tantôt par l’accroissement des facilités qui offrent au travail un débouché dans des pays nouveaux, sur des terrains inoccupés où il peut s’employer, tantôt enfin par les progrès généraux de l’intelligence et de la prudence des populations. Sans doute ces progrès sont lents ; mais c’est beaucoup qu’ils se fassent, puisque nous n’en sommes encore qu’à la naissance du mouvement en faveur de l’éducation de la totalité du peuple, laquelle, à mesure qu’elle s’étendra, augmentera beaucoup la force de ces deux causes de progrès.

Il y a donc à rechercher la forme de société qui peut résoudre avec le plus de succès la question de la pression de la population sur la subsistance : et sur cette question le socialisme a beaucoup à nous apprendre. Ce qu’on a cru longtemps qui faisait sa faiblesse se trouvera peut-être faire sa plus grande force. Mais il n’a pas le droit de se donner comme le seul moyen de prévenir la dégradation générale et croissante de l’humanité qui résulte de ce que la pauvreté a pour effet particulier de produire un excès de population. La société, telle qu’elle est constituée à présent, ne glisse pas dans cet abîme ; au contraire, elle s’en tire peu à peu, encore que lentement, et il est probable que cette amélioration ira en grandissant, à moins que des lois mauvaises n’interviennent.

Ensuite, il faut observer que les socialistes en général, et même les plus éclairés d’entre eux, ont une connaissance imparfaite des