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effets de la concurrence ; ils n’en aperçoivent qu’un côté. Ils n’en voient que la moitié et négligent le reste. Ils la regardent comme un engin destiné à réduire la rémunération de chacun, pour l’obliger à accepter un salaire moindre en échange de son travail ou un prix moindre pour sa marchandise. Cela serait vrai sans doute, si chacun était obligé de disposer de son travail ou de sa marchandise en faveur de quelque grand monopoleur, et si la concurrence se tenait toute d’un seul côté. Ils oublient que la concurrence est une cause de hausse de la valeur aussi bien que de son avilissement, que les acheteurs du travail et des marchandises se font concurrence entre eux aussi bien que les vendeurs, et que si c’est la concurrence qui tient les prix du travail et des marchandises aussi bas, c’est encore elle qui les empêche de tomber encore plus bas. En réalité, quand la concurrence est parfaitement libre des deux parts, elle ne tend particulièrement ni à élever ni à abaisser le prix des objets, mais à l’égaliser, à niveler les inégalités de la rémunération, et à les réduire toutes à une moyenne générale, résultat désirable, d’après les principes socialistes, dans la mesure à coup sûr très-imparfaite où il se réalise. Mais négligeons pour le moment ceux des effets de la concurrence qui consistent dans la hausse des prix, fixons notre attention sur ceux qui consistent dans leur avilissement, et considérons-les uniquement dans leur rapport avec l’intérêt des classes ouvrières. Il nous semble que si la concurrence avilit les salaires, et si elle donne par là aux classes ouvrières un motif de soustraire, s’il se peut, le marché du travail aux effets d’une concurrence effrénée, il faut reconnaître aussi qu’elle abaisse le prix des objets sur lesquels se dépensent les salaires, au grand avantage des hommes qui vivent du prix de leur travail. Pour écarter cette considération, les socialistes, ainsi que nous l’avons vu dans la citation empruntée à M. Louis Blanc, sont réduits à affirmer que l’abaissement du prix des marchandises produit par la concurrence est illusoire et aboutit en définitive à une hausse des prix plus forte qu’auparavant. En effet, lorsque le concurrent le plus riche s’est débarrassé de ses rivaux, il reste maître du marché et peut demander le prix qu’il veut. Or l’expérience la plus vulgaire montre que cet état de choses, sous le régime d’une concurrence vraiment libre, est tout à fait chimérique. Le compétiteur le plus riche ne se débarrasse pas de tous ses rivaux ; il ne saurait y parvenir ; il n’arrive pas à se mettre seul en possession du marché. On ne voit pas qu’une branche importante d’industrie ou de commerce, auparavant divisée entre un grand nombre d’individus, soit devenue le monopole d’un petit nombre, ou tende le moins du monde à le devenir. Cela peut arriver lorsque,