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marché, mais nullement de la qualité. Au début, alors que les producteurs et les consommateurs étaient moins nombreux, la concurrence assurait à l’acheteur ces deux avantages. Le marché n’était pas assez vaste, ni la publicité assez étendue pour permettre à un commerçant de faire fortune en attirant sans cesse de nouvelles pratiques. Il réussissait à la condition de retenir celles qu’il avait. Qu’un marchand fournît ou non de bons articles, ceux qui y avaient intérêt ne tardaient pas à le savoir. Le marchand y gagnait la réputation d’être ou de ne pas être honnête, et cette renommée avait beaucoup plus d’importance pour lui que le gain qu’il pouvait réaliser, en trompant çà et là quelques acheteurs fortuits. Mais sur la vaste échelle des transactions modernes, avec l’immense multiplication de la concurrence, et l’énorme accroissement du chiffre d’affaires où elle s’exerce, les commerçants dépendent si peu de leurs acheteurs habituels, qu’ils ont moins besoin d’une bonne réputation, et qu’en même temps ils sont moins assurés d’obtenir la réputation qu’ils méritent. Un commerçant annonce des marchandises à bas prix : pour mille personnes qui l’apprennent, il en est une qui découvre par elle-même ou par d’autres que la mauvaise qualité de ces marchandises fait plus que d’en compenser le bon marché. Ce n’est pas tout : certains commerçants réalisent aujourd’hui de bien plus grosses fortunes qu’on ne le pouvait autrefois, ce qui excite la cupidité de tous les autres ; la soif d’un lucre rapide se substitue au désir modeste de gagner sa vie par le commerce. De la sorte, à mesure que la richesse augmente et que l’on croit pouvoir atteindre des prix plus élevés, il s’introduit dans le commerce un goût de plus en plus prononcé pour le jeu. Lors même que ce goût ne domine pas, non-seulement on néglige les maximes les plus élémentaires de la prudence, mais on est terriblement tenté de s’aventurer dans tous les genres d’improbité pécuniaire, même dans les plus périlleux. Voilà ce qu’on veut dire quand on parle de l’ardeur de la concurrence moderne. Ajoutons encore que, lorsque cette ardeur est arrivée à un certain point ; qu’une partie des producteurs d’un article, ou les commerçants qui le distribuent, ont eu recours à quelque genre de fraude, par exemple la sophistication, la tromperie sur la quantité, etc., dont la répétition multipliée excite aujourd’hui tant de plaintes ; ceux mêmes qui n’auraient pas inventé ces pratiques frauduleuses, sont violemment tentés de les adopter. En effet, le public est informé du bon marché, résultat trompeur de la fraude, mais il ne découvre pas tout d’abord, si jamais il le découvre, que l’article ne vaut pas même le prix inférieur qu’on en donne ; on cesse de payer un prix supérieur pour un article meilleur, et