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Dire que « la pensée est un mouvement de la matière » [1] est une thèse absolument désespérée. En effet, il s’agit de faire entrer la pensée comme espèce dans le mouvement considéré comme genre. Or le mouvement ne se spécifie que par sa vitesse et sa direction. On aurait beau retourner ces deux idées dans tous les sens, il demeurera à jamais impossible d’en faire sortir quelque chose qui soit, je ne dirai pas identique, mais le plus lointainement analogue à la pensée, ou à un fait de conscience quelconque. Des travaux récents risquent de créer ici une illusion facile à prévenir. Des savants contemporains calculent la vitesse et la direction des mouvements corporels qui répondent aux phénomènes psychiques. On pourra peut-être déterminer avec exactitude le temps nécessaire pour qu’une impression externe soit perçue, au moyen du travail centripète du système nerveux, et pour qu’un sentiment ou une volonté se traduisent au dehors au moyen du travail centrifuge du même système. Ces recherches sont intéressantes ; mais il faut se rendre compte de leur résultat. Elles donneront une précision nouvelle à la théorie des rapports du physique et du moral ; mais elles n’atténueront en rien la distinction de ces deux éléments irréductibles. Après toutes les observations possibles et tous les calculs, il demeurera toujours inconcevable qu’un déplacement de molécules, ou une ondulation, ou une vibration, ou un phénomène mécanique quelconque soit, non pas la condition de la pensée, mais la pensée elle-même. L’identité des phénomènes corporels et des phénomènes spirituels est une affirmation qui doit être reléguée au rang des hypothèses impossibles[2].

La doctrine du transformisme voile l’éclat de cette vérité. « Le mouvement se transforme en pensée » est une formule qui heurte moins directement la raison, que cette autre formule : « La pensée est un mouvement ; » et cependant le contenu des deux affirmations est le même. La thèse de la transformation des mouvements en pensée mérite de fixer l’attention, parce qu’elle a été soutenue, en dernier lieu, par M. Herbert Spencer. Cet auteur accumule, ce qui est facile, des preuves des relations étroites qui existent entre les phénomènes psychiques et l’état des organes. Ensuite, au lieu de conclure à l’harmonie de deux ordres de faits distincts, il conclut à la transformation des uns dans les autres. Il écrit : « La loi de métamorphose qui règne parmi les forces physiques règne également entre celles-ci et les forces mentales. Les modes de l’inconnaissable

  1. Moleschott, la Circulation de la vie, ii, 178 et 179.
  2. Voir la Revue philosophique, avril 1877, p. 372 et 373.