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naville. — la physique et la morale

ne nous fera pas défaut, tant qu’il nous restera des forces ; mais il est impossible, quoi qu’on veuille, de combattre au delà de ses forces. » Nul ne peut agir au delà d’une certaine limite ; mais l’un peut employer à combattre bravement la même quantité de mouvements musculaires dont l’autre fera usage pour fuir. Bien que l’homme ne dispose que de la quantité de force qu’il tire de la nourriture, de l’air, du soleil, il suffit qu’il en dispose librement pour être l’agent responsable de ses actes. Dès lors, les bases de la morale subsistent, et les progrès d’une science qui montre toujours plus dans les mouvements la condition des phénomènes spirituels ne portent aucune atteinte à ces bases. Or de quoi s’agit-il pour établir la possibilité d’un élément de libre arbitre, en maintenant le principe de la constance de la force ? Il suffit d’admettre pour la volonté ce qu’il est impossible de refuser à la molécule matérielle, et ce qu’il est improbable de refuser aux germes vivants : un pouvoir de direction qui ne change pas la somme des mouvements. Cette considération est relative à l’espace ; une remarque de même nature s’applique au temps.

La constance de la force ne s’oppose pas à l’admission d’un pouvoir par lequel l’homme peut employer, à tel moment et dans telle mesure, les forces dont il dispose. Descartes avait admis la conservation de la même quantité de mouvement, quantité que la science désigne par la formule . Leibniz a établi que l’élément qui demeure fixe n’est pas la quantité du mouvement actuel, mais la force vive que la science désigne par la formule . Mais cela ne suffit pas. Pour établir la thèse de la constance de la force, il faut encore admettre que la force se présente sous une forme latente ou virtuelle. Ce qui demeure en quantité fixe, ce n’est pas le mouvement actuel, ce n’est pas la force vive actuelle ; c’est la puissance de produire le mouvement ou, si l’on veut user de ce terme, l’énergie[1]. Les termes constance de la force, comme je l’ai dit, signifient la conservation d’une quantité égale de mouvement actuel ou virtuel ; mais les mots ne doivent pas créer une illusion. Le mouvement virtuel, dans l’état présent de nos connaissances, n’est pas une espèce du genre mouvement, mais une cause de mouvement possible. Le bois en brûlant produit par sa chaleur et sa flamme une somme de mouvements égale à celle des mouvements qui ont produit sa croissance ; la flamme du feu ne rendra que ce que la bûche a reçu du sol, de l’air et du soleil. Mais comment le mouvement virtuel existe-t-il dans le bois ? On parle de force emmagasinée, en réserve, potentielle, latente ; ces mots désignent un fait, mais ils n’expliquent rien. Existe-t-il dans le bois un mouvement moléculaire insensible pour nous

  1. La Conservation de l’énergie, par Balfour Stewart.