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qui se transforme dans la puissance active du feu ? Une pièce d’artillerie lance son projectile ; y avait-il dans la poudre un mouvement moléculaire équivalent à celui du boulet ? Nul assurément n’a le droit d’affirmer qu’il en soit ainsi, parce que la preuve de l’affirmation n’est point faite. Mais admettons qu’il en soit ainsi ; admettons que ce qu’on appelle force emmagasinée, latente, virtuelle, soit un mouvement moléculaire qui se transforme, dans telles circonstances données, en un mouvement externe appréciable. La transformation peut avoir lieu à des moments divers. La puissance de l’action extérieure peut être dépensée ou tenue en réserve, sans changement dans sa quantité. En raison de l’indifférence dynamique de l’espace, la direction des mouvements peut être changée, leur quantité restant la même. En raison de l’indifférence dynamique du temps, un mouvement moléculaire peut être transformé en un mouvement externe appréciable, à un moment ou à l’autre, sans que sa quantité soit changée. Une bougie renferme une certaine quantité de lumière possible ; je l’éteins ; sa combustion s’arrête, et sa puissance d’éclairer demeure la même ; le fait qu’elle brûle à un moment ou à l’autre est indifférent sous le rapport de la quantité. De même, en admettant que tous les mouvements externes de l’organisme humain soient des transformations d’un mouvement moléculaire interne, l’idée que la volonté peut actualiser, à un moment ou à l’autre, le pouvoir de l’organisme n’est contredite en rien par la théorie de la constance de la force[1].

S’il en est ainsi, il n’existe aucun conflit réel entre la physique et la morale. Je ne crée pas des forces, mais je dispose de celles que je possède ; et j’en dispose, au moment que je choisis, pour le bien ou pour le mal. Le fait que la quantité des mouvements possibles est supposée fixe n’altère en rien la responsabilité de l’agent qui fait tel ou tel emploi de cette faculté de mouvoir, par laquelle se manifestent tous les actes de la vie spirituelle.

Reste une objection. L’admission de la liberté introduirait dans la science du mouvement un élément étranger et perturbateur. En effet, la mécanique est la science du mouvement, et la mécanique suppose toujours un déterminisme absolu, dépendant de circonstances matérielles. Un principe directeur conçu comme un agent libre fait sortir la pensée du domaine de la mécanique[2]. Assurément ;

  1. M. Renouvier a présenté à ce sujet des remarques dignes d’attention dans la Critique philosophique du 17 octobre 1878.
  2. Au sujet de l’existence simultanée d’un principe directeur libre et des lois de la mécanique, consulter les travaux de M, Boussinesq : Séances et travaux de l’Académie des sciences morales et politiques, t. cix, p. 696 et suiv. ; Revue philosophique du 1er janvier 1878, p. 58.