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survécu. Le jugement ainsi formulé nous donne la caricature plutôt que le portrait de cette grande figure scientifique. Il est bien vrai qu’avant l’âge de quarante ans, dès l’année 1852, l’éminent physiologiste avait fait les principales découvertes qui ont fondé sa réputation, et qu’il n’a commencé de dogmatiser qu’à la période où, suivant la règle socratique, les anciens philosophes commençaient d’écrire. La fougue de l’invention, l’inconscience de l’inspiration avaient dominé sa jeunesse : sa maturité appartenait à des pensées plus réfléchies. À l’inverse de beaucoup de ceux qui ont marqué dans la science contemporaine, il avait eu, au début, plus de génie que de volonté ; plus tard, il a montré autant de force de pensée que de génie inventif. L’éclat jeté par les débuts d’une carrière brillante ne doit pas effacer les travaux féconds de son déclin, et le regain de découvertes récolté dans l’arrière-saison, pour être moins riche que la moisson des premiers jours, n’est pourtant pas sans prix. Une seule des belles recherches sur la formation de la matière glycogène, sur le rôle universel des ferments digestifs, sur l’intervention des réserves dans la nutrition et sur les anesthésiques, œuvres de cette prétendue période stérile, suffirait à faire la fortune scientifique de quelqu’un de ces critiques dédaigneux.

Nous n’avons pas à faire ici l’histoire de ces découvertes des premiers ou des derniers jours. Ce n’est pas l’inventeur, ou fougueux ou plus calme, qui doit se montrer à cette place ; c’est le philosophe. Nous avons à exposer des doctrines et non point des faits physiologiques.

Les doctrines de Cl. Bernard appartiennent à ce que l’on est convenu d’appeler la philosophie de la science, pour la distinguer de la philosophie sans épithète. On ne trouvera dans ses ouvrages ni psychologie, ni morale, ni théodicée, mais on n’y trouvera pas non plus cet aride répertoire de faits auxquels quelques esprits prétendent réduire la science. On y verra les généralisations que comportent les faits physiologiques, les lois qui les résument, les méthodes qui permettent de les acquérir. C’est une philosophie qui plane au-dessus des réalités vitales, assez haut pour les embrasser dans leurs rapports, et assez près pour ne point les perdre de vue. Qu’on ne dise point que ce hardi physiologiste a été un métaphysicien timide. La critique serait mal fondée, car le métaphysicien le plus timide doit encore, pour mériter son nom, discuter ou trancher des problèmes que Cl. Bernard s’est interdit d’aborder. Il s’était imposé en quelque sorte, comme une règle d’hygiène intellectuelle, de ne pas quitter le terrain de la science vérifiable, et de rester sourd aux appels de l’esprit métaphysique, qui demande le pourquoi des choses dont la science ne peut révéler que le comment. Il a été