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dastre. — le problème physiologique de la vie

fidèle à cette règle, non pas, à la vérité, sans se contraindre quelquefois. Nous ne voulons pas nier que, dans le nombre de ses écrits, l’on ne puisse relever telle ou telle indiscrétion de plume que la métaphysique aurait le droit de réclamer : mais on sent que l’éminent physiologiste ne respirait pas librement dans cette atmosphère nuageuse, et que son esprit avait hâte de se retremper au contact des vérités tangibles.

Les traces de ces écarts, de ces excursions interdites à la prudence scientifique ne se retrouveraient point dans son œuvre, si elle eût été écrite à loisir, composée avec soin, vingt fois mise sur le métier. Dix-sept volumes et 150 notes ou mémoires, rédigés à la hâte, entre l’expérience du jour et celle du lendemain, ne font pas de Cl. Bernard un écrivain. Les soins matériels de l’expérimentation ne lui auraient pas permis de récrire jusqu’à treize fois sa pensée, comme Pascal a pu le faire à propos de telle ou telle de ses Provinciales. Il a toujours improvisé.

Aussi les livres de Cl. Bernard ne donnent de lui qu’une idée bien incomplète. C’est dans son laboratoire qu’il fallait le connaître, expérimentant ou conversant. Son enseignement a toujours eu un caractère ésotérique. C’est dans ce laboratoire humide et bas, si différent des brillants jardins des philosophes athéniens, que ce péripatéticien de la science répandait les trésors de sa sagesse, devant des disciples subjugués tout en même temps par l’ampleur ou la justesse de ses vues.

L’œuvre doctrinale de Cl. Bernard est-elle donc indifférente à la philosophie proprement dite ? et doit-elle être écartée du procès pendant entre les spiritualistes et les matérialistes, à propos de l’explication de la vie ? Nous ne le croyons pas. La physiologie générale fournit à la discussion son point de départ et en quelque sorte son support : en fixant les limites actuelles de nos connaissances, elle marque le moment où la philosophie commence d’abandonner le terrain solide des réalités pour s’élever sur les ailes de l’induction dans les mystérieuses régions des possibilités.


Il y a deux parts dans cette œuvre. L’enseignement doctrinal de Cl. Bernard a été animé par une double ambition ; lui-même a été l’homme « de deux pensées », conduisant de front deux projets étrangers l’un à l’autre. Il a voulu constituer une science nouvelle, la physiologie générale ; il a prétendu, en second lieu, donner à la médecine une méthode rationnelle. Ces deux buts, il les a poursuivis avec une égale ardeur, faisant de son temps et de ses efforts deux parts à peu près égales : l’une, consacrée à l’enseignement et au