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Ces exemples, aussi bien que ceux que fournit aux zoologistes la considération des polypiers qui ont formé par leur lente croissance les récifs ou atolls des mers de la Polynésie, ne prouvent pourtant pas la pérennité des êtres vivants. L’argument est sans valeur, car il est fondé sur une confusion : il équivoque sur la difficulté que les naturalistes éprouvent à définir l’individu. La véritable individualité vivante, l’être simple, l’élément anatomique, ou, pour employer une expression de Hegel, le citoyen de cette nation que nous nommons chêne ou polypier, celui-là commence et finit, il naît d’un germe, s’accroît et se complique, puis il décline et meurt, après avoir fourni une carrière plus ou moins longue, mais toujours limitée. Cette évolution déterminée, cette marche continuelle dans une direction fixée qui avec ses degrés et son terme est la répétition de la marche qu’ont déjà suivie les générations précédentes, est bien digne de faire impression sur l’observateur le moins attentif ; et, pour le philosophe qui considère de haut ce spectacle des êtres qui s’écoulent toujours de même, c’est là le trait le plus significatif de la vie. Nous ne voulons pas nous demander si ce trait est vraiment nouveau, aussi saisissant, aussi exclusif qu’il le paraît, et si les corps bruts ne présenteraient pas quelque chose d’analogue à ces répétitions de formes que nous ofîre la série des générations vivantes. Que cette propriété soit caractéristique de l’être vivant, nous en tombons d’accord ; mais, est-ce une raison pour négliger les autres propriétés et pour sacrifier d’une manière absolue au phénomène de l’évolution tous les autres phénomènes par lesquels se manifeste actuellement l’activité de chaque être. La physiologie veut saisir la vitalité sur le fait : elle envisage l’animal ou la plante de plus près ; elle doit étudier les événements dont ils sont le théâtre. Cette notion vague qu’il y a une succession, un ordre, un enchaînement, une évolution de ces événements, ne la dispense point de les étudier en eux-mêmes et de chercher dans leur nature et leur mécanisme quelque chose de suffisamment particulier pour les caractériser. En un mot, si la vie est un devenir, elle est aussi un état présent, et cet état présent peut être l’objet des études physiologiques.

Le préjugé dualiste obscurcissait cette notion de l’état présent et la sacrifiait à celle de l’évolution. Le mot de vie perd toute signification actuelle pour ceux qui ne voient que des dissemblances entre les deux règnes vivants, entre les animaux et les plantes. S’il y a deux vies, une vie animale et une vie végétale, il n’y en a plus, ou, ce qui revient au même, il y en a une infinité qui n’ont de commun que le nom ; il y en a autant que d’êtres différents, puisque chacun a son évolution particulière. Le spécifique est ici la négation du