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Lavoisier avait dit : « Les végétaux puisent dans l’air qui les environne, dans l’eau et en général dans le règne minéral, les matériaux nécessaires à leur organisation. Les animaux se nourrissent ou de végétaux ou d’animaux qui ont eux-mêmes été nourris de végétaux. » Avec l’école chimique contemporaine, l’opposition des deux règnes devient plus catégorique. Pour M. Dumas, « les animaux, quels qu’ils soient, ne font ni graisse ni aucune matière organique élémentaire : ils empruntent tous leurs aliments, qu’ils soient sucrés, amylacés, gras ou azotés, au règne végétal. » Un pas de plus, et la différence devenait un antagonisme. La vie animale avait pour résultat de détruire ce que la vie végétale avait pour fonction de former. L’ensemble des deux règnes devenait comparable au point de vue des harmonies de la nature, à une sorte de chaîne fermée, traversée toujours dans le même sens par des éléments nutritifs qui subissaient des synthèses dans la partie correspondante aux plantes et une décomposition dans la partie correspondante aux animaux. Et, si l’on voulait embrasser la nature entière, une formule concise pouvait exprimer les rapports des trois règnes et marquer leur différence : « Le règne minéral fournit ; le règne végétal forme ; le règne animal détruit. » À peine arrivée à ce point culminant, la doctrine commença de subir une décadence rapide : démentie partiellement à propos d’une classe de principes immédiats, les corps gras, mise en défaut une seconde fois à propos des principes sucrés, elle a été définitivement ruinée par l’interprétation exacte des phénomènes respiratoires. Non-seulement sa contradiction avec les faits positifs a été démontrée, mais les raisons profondes et intimes de son erreur ont été mises au jour. Vers l’année 1843, les recherches des chimistes et de Payen en particulier avaient réussi à montrer la présence à peu près constante des matières grasses dans les végétaux ; de plus, ces matières existaient en proportions plus que suffisantes pour expliquer l’engraissement du bétail qui en faisait usage. Les chimistes prêtèrent à la nature autant d’intelligence pratique qu’ils en avaient eux-mêmes, et, puisque le foin de la ration et les herbages apportaient la graisse toute faite au cheval, au bœuf et au mouton, ils déclarèrent que l’organisme animal ne devait prendre d’autre peine que de la mettre en place dans les tissus ou de la faire passer dans le lait. Mais la nature n’est pas si sage ni aussi économe qu’on la supposait à l’Académie des sciences. À la suite d’une discussion mémorable dans laquelle intervinrent MM. Dumas, Boussingault, Payen, Liebig, Persoz, Milne-Edwards, Flourens, Chossat, et plus tard Berthelot et Cl. Bernard, il fut établi que l’animal ne s’engraissait pas avec l’aliment gras qu’on