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espinas. — philosophie expérimentale en italie

actuelle. Il suivait en cela les tendances de son propre esprit, car toute philosophie du fait doit se transformer tôt ou tard en une philosophie du devenir ou de l’évolution ; mais il subissait de plus sans doute l’influence de Borelli, qui dès 1825 (sous le pseudonyme de P. Lallebasque) avait devancé Herbert Spencer en étudiant la genèse de la pensée du point de vue physiologique.

En somme, pendant toute la seconde moitié du xviiie siècle et le premier tiers du xixe, ce qu’il y avait eu de penseurs en Italie avait procédé de Locke ou de Condillac, et d’importants accroissements étaient venus enrichir en ce pays la philosophie de l’expérience, notamment en ce qui concerne l’économie et la politique. L’influence de Kant, déjà considérable chez Galuppi, dominante chez Testa et chez Colecchi, disciple de Galluppi, prépondérante enfin dans tout le midi de la péninsule, semblait devoir vers 1825 non pas arrêter ce penchant vers le sensualisme, mais le fortifier plutôt, en invitant pour ainsi dire les empiriques à démontrer la genèse des idées a priori, fondement du système kantien. Que si cette solution, qui était, comme on vient de le voir, en germe dans les ouvrages de Vincenzo de Grazia et de Borrelli, n’était pas mûre encore, la critique de Kant eût certainement enfanté là comme ailleurs de nouveaux systèmes métaphysiques qui n’eussent pas manqué un jour ou l’autre de servir aux progrès de la philosophie. Mais il n’en devait pas aller ainsi. Jusque-là, la spéculation avait eu un caractère laïque et moderne. Les prêtres mêmes qui s’y étaient mêlés ne s’étaient montrés soucieux que des intérêts de la science. En ce moment, deux prêtres, nourris de scolastique, mais par malheur armés, comme prêtres et patriotes, d’un double charme bien fait pour fasciner les Italiens, Rosmini et Gioberti, entrent successivement en scène et viennent jeter dans les esprits une agitation profonde[1], utile peut-être au point de vue politique, certainement stérile pour la science. Le comte Mamiani, d’abord tout entier à l’influence de Romagnosi, converti ensuite, et qui dans son séjour en France avait appris de Cousin comment on fonde un enseignement d’État, se chargea d’organiser le mouvement créé par eux[2]. Je me demande ce que ces trois

  1. Sur l’enthousiasme excité par Gioberti sur les esprits les plus indépendants, voir La filosofia contemporanea de Fiorentino, p. 10 et 11 : « Quel movimento era piu politico che spéculative. » M. Fiorentino attribue une plus grande valeur scientifique à Rosmini qu’à Gioberti. Nous laissons aux professeurs de théologie le soin d’apprécier les mérites de ces deux écrivains.
  2. Il fut ministre de l’instruction publique en 1860. Mais il a exercé longtemps auparavant une influence considérable comme chef du parti ministériel dans le Parlement. Il est aujourd’hui sénateur, conseiller d’État et membre du conseil supérieur de l’Instruction publique.