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dastre. — le problème physiologique de la vie

ganisme avec une cité policée, nous dirons que les vitalistes partisans d’une centralisation rigoureuse sacrifient absolument le citoyen anatomique à l’État ; ils suppriment la vie individuelle en la considérant arbitrairement comme un fragment de la vie nationale. La vie qui anime chaque partie est pour eux une émanation de la force vitale une et indivisible qu’ils supposent animer l’ensemble. Les résultats de l’analyse laborieuse par laquelle les physiologistes et Cl. Bernard surtout ont été conduits à la notion d’une vie élémentaire universelle et constante à elle-même sont ignorés ou méconnus par cette école qui confond, sans allégation de motifs, ad nutum, la vie élémentaire dans la vie totale. Cette manière d’envisager les choses pèche à la fois contre la vérité et contre la méthode : elle équivaut à un refus formel d’analyser, en une matière où la prétention de synthétiser d’emblée est singulièrement téméraire et où l’analyse est de rigueur. L’issue d’une telle tentative est la confusion, confusion pire encore que l’erreur, selon le mot de Bacon, On trouverait le modèle du raisonnement vitaliste dans la boutade célèbre de de Maistre : « Où est l’homme ? J’ai vu des Anglais, des Français, des Allemands, des Russes. Je n’ai jamais vu l’homme. » L’homme n’est pourtant pas bien difficile à retrouver sous le déguisement national, poussé par les mêmes mobiles, animé par les mêmes passions, esclave des mêmes instincts. Et si une telle vérité pouvait être contestée en ce qui concerne l’homme, être intelligent, il n’y a pas d’esprit assez intrépide dans le paradoxe pour la contredire à propos de l’homme, être zoologique, et pour attribuer ses fonctions animales à une émanation de la vie ethnique, c’est-à-dire, en un mot, à une sorte de force vitale, anglaise ou allemande, française ou russe.

C’est là pourtant ce que n’hésitent pas à faire, à leur façon, les vitalistes anciens ou nouveaux, lorsque, partisans à outrance de l’unité indivisible du corps, ils subordonnent toutes les manifestations des parties à l’unique influence du Tout. Tant de candeur ou tant de hardiesse nous étonne ; nous en cherchons la cause, nous en demandons le secret, et nous les trouvons dans cette extrémité de l’esprit philosophique que l’on pourrait appeler « l’horreur de la réalité objective ».

A. Dastre.
(À continuer.)