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analyses. — The Life and Education of Laura Bridgman.

nasal pour un troisième, son guttural pour un quatrième, etc. Évidemment ce sont des signes ou noms qu’elle attribue à chaque personne. Ils sont connus de tous les intimes. Quand on lui parle d’un tel et d’un tel, elle fait son « bruit » ; et ses bruits ou noms sont si intimement associés avec les personnes, que quelquefois, assise toute seule, lorsque le souvenir d’un ami lui vient à l’esprit, elle émet son « bruit » qui pour elle est son nom. Comme en sa qualité de sourde-muette elle n’entend aucun son et ne peut viser à attirer l’attention des autres en produisant quelque bruit, il s’ensuit que, poussée par une tendance naturelle de l’esprit humain à attacher des signes à chaque pensée, elle choisit le moyen naturel de l’exprimer, mais sans aucune intention déterminée de produire un effet. »

Le nombre de ces signes vocaux distincts pour désigner les personnes est, d’après Howe, de cinquante à soixante. Ils ont un caractère net et fixe. Si elle entre dans une chambre où se trouvent une douzaine de ses compagnes, elle les embrasse, émettant pour chacune, rapidement, le son qui la désigne, et d’une manière si invariable que chacune connaît très-bien le son qui lui est propre. Le Dr  Lieber, qui a publié dans les Smithsonian Contributions un travail spécial sur ce sujet, fait remarquer : que produire ce son pour désigner une amie est pour Laura la première impulsion ; traduire son nom dans le langage des doigts n’est que la seconde. Enfin le même auteur nous dit que quelquefois Laura, quand elle est seule, tient avec elle-même de longues conversations, parlant avec une main et répliquant avec l’autre.

Tandis que James Mitchell était doué d’un odorat très-fin, dont il faisait grand usage pour se conduire, ce sens manque complètement à Laura Bridgman ; le goût par suite est presque nul. On sait que les physiologistes ont beaucoup discuté pour savoir, dans les saveurs, quelle part doit être faite au goût proprement dit, quelle part au sens de l’odorat. Quelques expériences ont été faites sur Laura Bridgman « pour établir si le goût est émoussé d’une manière générale ou s’il ne l’est que par rapport à telle ou telle espèce de saveur » ; mais Laura se prêtait peu à ces expériences et elles n’ont pu être poussées loin. Le Dr  Howe considère cependant comme établi « que les acides produisent sur le goût des impressions vives et distinctes. Elle paraît distinguer les divers degrés d’acidité mieux que les degrés de douceur ou d’amertume : elle peut distinguer le vin, le cidre et le vinaigre mieux que des substances comme le sucre, la manne, la liqueur. Quant aux amers, elle semble les percevoir peu ou point : on lui mit de la poudre de rhubarbe dans la bouche, elle dit que c’était du thé ; comme on le niait et qu’on l’engageait à mieux goûter, elle soutint que c’était du thé et cracha, mais sans grimace et sans indiquer aucun sentiment désagréable. » (P. 24.)

En revanche, le toucher est extrêmement fin, même pour un aveu-