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à suivre cette méthode, économie de temps ? — L’entrée à l’asile d’un jeune aveugle sourd-muet, Olivier Caswell, lui permit de mettre sa théorie à l’épreuve. Elle choisit quatre mots très-courts et très-dissemblables, key, pin, mug, table (clef, épingle, gobelet, table). Elle disposa les doigts de son élève de manière à former successivement les trois lettres k, e, y et en lui faisant toucher une clef. Il s’y prêta à plusieurs reprises, tout en indiquant par l’expression de sa figure qu’il était fatigué de ce jeu, qui lui paraissait sans doute un non-sens. Mais au quatrième mot, table, le phénomène psychologique désiré s’accomplit. L’interprétation de ces mouvements des doigts comme signes s’était faite dans l’esprit de l’élève : « Sa figure devint rayonnante. Il me fit parcourir rapidement la chambre, mettant la main sur divers objets et me les faisant épeler avec mes doigts. Une demi-heure avait suffi pour lui donner une idée qui avait demandé quatre mois à Lucy Read et près de trois mois à Laura. »

Pour en revenir à celle-ci, dès qu’on lui eut appris à parler le langage des sourds-muets, on lui enseigna l’usage des diverses parties du discours dans l’ordre suivant : les substantifs, les verbes, les adjectifs, les prépositions et conjonctions, les pronoms. La difficulté fut assez grande pour ces trois dernières espèces de mots, et l’auteur donne sur ce point quelques détails intéressants que nous ne pouvons indiquer dans ce court article.

À cette période de sa vie, elle employait les mots, dit le Dr Howe, dans le sens le plus général ; les verbes sans distinction de temps ni de modes ; et elle construisait ses phrases de manière à placer tout d’abord l’idée principale ; par exemple, pour demander du pain : « Pain, donner, Laura ; » pour demander de l’eau : « Eau, boire, Laura. » Par suite de cette logique inconsciente qui règle le langage, elle formait tous ses mots régulièrement, au grand scandale de son institutrice (sced pour saw, de see ; eated pour ate, de eat), et elle plaçait invariablement l’adjectif après le substantif (on sait qu’en anglais c’est le contraire qui a lieu).

Lorsqu’elle était seule, elle semblait raisonner et discuter, faisait remuer ses doigts, se frappait la main droite avec la gauche en signe de désapprobation, lorsqu’elle épelait ses mots incorrectement. Quand tout marchait à son gré, elle se frappait doucement la tête (signe d’approbation) (p. 12).

Pour en finir avec la question du langage, il nous reste un dernier fait à noter, auquel nous attachons pour notre part une grande importance. Nous avons déjà signalé à plusieurs reprises cette tendance de tout état mental à passer à l’acte, c’est-à-dire à se traduire par des mouvements des membres, des organes vocaux ou par quelque changement physiologique. Or voici ce que le Dr Howe rapporte au sujet de Laura (p. 61) : « Lorsqu’elle rencontre des élèves ou des amies intimes ou moi, instantanément elle produit un bruit (noise) à l’aide de ses organes vocaux : rire éclatant pour l’un, gloussement pour un autre, son