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analyses. — lessewitch. Pisma o nautchnoi filosofii.

forme à la réflexion « vulgaire », degré inférieur du développement intellectuel.

Nous ne saurions adopter une opinion pareille. Pour être d’accord avec M. Lessewitch}, il faudrait refuser à la mathématique, presque entière, une valeur scientifique et la considérer comme un tissu d’hypothèses et de conjectures vulgaires. Que de vérités mathématiques d’une exactitude incontestable sont déduites a priori et ne pourront être jamais constatées a posteriori, au moyen d’une expérience immédiate ! Si nous voulions par exemple vérifier au moyen de l’expérience immédiate le résultat du calcul théorique d’un corps, si nous le coupions en unités cubiques et si nous mesurions chacune d’elles séparément, notre mesure pratique diffèrerait du calcul théorique, — l’imperfection de nos sens ne nous permettant pas de diviser ce corps en unités parfaitement égales, et la dispersion d’une partie de la matière par suite de la division produisant de son côté des différences sensibles. — Il s’ensuit donc que, si l’expérience immédiate était le criterium absolu de l’exactitude scientifique, il nous faudrait douter de tous les calculs a priori en mathématiques. Heureusement, les choses n’en vont point ainsi ; — très-souvent, nous n’avons pas de foi en l’expérience, jamais nous ne doutons d’un calcul effectué avec précision.

Si l’opinion de M. Lessewitch était juste, nous devrions refuser une valeur scientifique non-seulement aux vérités mathématiques, mais aussi à bien des vérités appartenant aux autres régions du savoir. Que de principes scientifiques sont complètement inaccessibles à l’expérience immédiate ! Qui de nous s’est jamais convaincu a posteriori que la distance entre le ciel et la terre est précisément telle qu’on la calcule ? Qui a vu la terre tourner dans l’espace ? et qui de nous a mesuré l’ellipse qu’elle trace dans sa marche autour du soleil ? Qui peut se vanter d’avoir vu l’éther subtil, parcourant en une seconde des milliers de lieues ? Ne serait-ce que des conjectures de la raison vulgaire ? — Tout inaccessibles qu’ils sont aux sens, ces faits n’en sont pas moins des vérités scientifiques parfaitement exactes. Le but de ces dernières est de nous expliquer le rapport entre les phénomènes réels, ou, comme le dit fort bien M. Lessewitch lui-même, de réduire les faits (facteurs composés) à leurs causes (facteurs primitifs et simples). Tant qu’une vérité nous éclaircit seulement le rapport des phénomènes, elle est une hypothèse ; elle ne se transforme en principe scientifique que lorsqu’elle nous prouve que le phénomène ne peut être éclairci que de la manière dont elle le fait. Alors seulement, ce principe posé à titre d’explication devient une vérité scientifique absolue, sans qu’une vérification a posteriori soit désormais nécessaire. — Lorsque l’astronomie, par exemple, nous a prouvé que l’existence et le rapport de phénomènes tels que les changements de saisons seraient impossibles sans le mouvement de la terre autour de son axe et sans son mouvement elliptique autour du soleil, et lorsqu’elle nous a démontré clai-