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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VII.djvu/348

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Il s’y propose de définir le rapport entre la philosophie scientifique et le positivisme. Ils ont tous les deux le même but : fonder la spéculation sur la science. Mais, tandis que la première s’y achemine par une voie critique, le second veut l’atteindre par voie d’amputation, ou, pour se servir de l’expression de l’auteur, par voie de castration, en éludant complètement certaines questions importantes. Le positivisme entoure de barrières infranchissables le domaine de la pensée et lui défend de sonder certains problèmes. Les observations de M. Lessewitch ne manquent pas certainement d’esprit et de justesse ; mais a-t-il écarté ces barrières, pareilles à des frontières russes, qu’il reproche si sévèrement au positivisme ? Nullement ; — il n’a fait que les reculer un peu ; en revanche, il surveille celles qu’il a posées lui-même bien plus assidûment que Comte ne surveille les siennes. Un employé russe, à la douane, guette sans relâche le passage furtif d’un socialiste : M. Lessewitch est non moins zélé à épier si une idée ne renferme par hasard quelque reste dangereux de métaphysique, produit de la réflexion vulgaire. Y trouve-t-il le plus petit germe de ce péché originel, bien vite il la repousse.

L’auteur aurait donc pu montrer plus d’indulgence envers le positivisme et ne pas traiter aussi rudement un homme tel que Littré. Le collaborateur de Littré, M. Wyrouboff est aussi bien malmené. Que dire enfin de ces pauvres positivistes russes, qu’il fouette sans pitié ? Mais ils sauront se défendre à leur manière.

Malgré tous ses défauts l’ouvrage de M. Lessewitch n’en est pas moins un heureux présage pour le mouvement philosophique de son pays. La société russe, gouvernée despotiquement, donne facilement accès à toute sorte de doctrines absolues. Celle de Comte y exerçait son influence despotique. Le progrès philosophique en Russie était donc menacé d’un péril imminent. L’apparition soudaine du livre de M. Lessewitch est une preuve que l’instinct critique, éveillé de nouveau, sous l’influence de la nouvelle école allemande, a produit une réaction nécessaire contre la domination exclusive de la philosophie positive, ainsi que le désir véritable d’une attitude et d’un progrès nouveaux. Cette attitude toutefois diffère du positivisme moins par l’esprit que par la forme.

M. Lessewitch occupe une position intermédiaire entre le criticisme allemand d’une part et la philosophie positive de l’autre. Il a puisé également dans les deux directions ; il a emprunté à la première son attitude et sa méthode critique, à la seconde la classification par phases du développement intellectuel. Il a les qualités, mais il a aussi les défauts de l’une et de l’autre.

Maurice Straszewski.